Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mercredi 7 octobre 2009

Textes et citations sur la peine de mort


"Oh ! nous sommes le dix-neuvième siècle ; nous sommes le peuple nouveau ; nous sommes le peuple pensif, sérieux, libre, intelligent, travailleur, souverain ; nous sommes le meilleur âge de l'humanité, l'époque de progrès, d'art, de science, d'amour, d'espérance, de fraternité ; échafauds ! qu'est-ce que vous nous voulez ? Ô machines monstrueuses de la mort, hideuses charpentes du néant, apparitions du passé, [...] Vous êtes les choses de la nuit, rentrez dans la nuit. Est-ce que les ténèbres offrent leurs services à la lumière ? Allez-vous-en.
Pour civiliser l'homme, pour corriger le coupable, pour illuminer la conscience, pour faire germer le repentir dans les insomnies du crime, nous avons mieux que vous, nous avons la pensée, l'enseignement, l'éducation patiente, l'exemple religieux, la clarté en haut, l'épreuve en bas, l'austérité, le travail, la clémence. Quoi ? du milieu de tout ce qui est grand, de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est auguste, on verra obstinément surgir la peine de mort ?" -- Victor Hugo, Aux habitants de Guernesey (1854)

"Ce qui plaide le mieux en faveur de l'abolition de la peine de mort, ce sont les argument qu'emploient ses partisans, et leur mentalité." -- Arthur Koestler, Réflexions sur la Peine Capitale

"Il n'est pas difficile d'ailleurs, pour qui veut s'interroger loyalement, de comprendre pourquoi il n'y a pas entre la peine de mort et l'évolution de la criminalité sanglante ce rapport dissuasif que l'on s'est si souvent appliqué à chercher sans trouver sa source ailleurs, et j'y reviendrai dans un instant. Si vous y réfléchissez simplement, les crimes les plus terribles, ceux qui saisissent le plus la sensibilité publique - et on le comprend - ceux qu'on appelle les crimes atroces sont commis le plus souvent par des hommes emportés par une pulsion de violence et de mort qui abolit jusqu'aux défenses de la raison. A cet instant de folie, à cet instant de passion meurtrière, l'évocation de la peine, qu'elle soit de mort ou qu'elle soit perpétuelle, ne trouve pas sa place chez l'homme qui tue.
Qu'on ne me dise pas que, ceux-là, on ne les condamne pas à mort. Il suffirait de reprendre les annales des dernières années pour se convaincre du contraire. Olivier, exécuté, dont l'autopsie a révélé que son cerveau présentait des anomalies frontales. Et Carrein, et Rousseau, et Garceau.
Quant aux autres, les criminels dits de sang-froid, ceux qui pèsent les risques, ceux qui méditent le profit et la peine, ceux-là, jamais vous ne les retrouverez dans des situations où ils risquent l'échafaud. Truands raisonnables, profiteurs du crime, criminels organisés, proxénètes, trafiquants, maffiosi, jamais vous ne les trouverez dans ces situations-là. Jamais !
Ceux qui interrogent les annales judiciaires, car c'est là où s'inscrit dans sa réalité la peine de mort, savent que dans les trente dernières années vous n'y trouvez pas le nom d'un "grand" gangster, Si l'on peut utiliser cet adjectif en parlant de ce type d'hommes. Pas un seul "ennemi public" n'y a jamais figuré. (...)
En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles.
Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact.
Et, puisqu'on vient de prononcer le nom de deux condamnés à mort qui ont été exécutés [Buffet et Bontems], je vous dirai pourquoi, plus qu'aucun autre, je puis affirmer qu'il n'y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive : sachez bien que, dans la foule qui, autour du palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet et de Bontems : "A mort Buffet ! A mort Bontems !" se trouvait un jeune homme qui s'appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand je l'ai appris, j'ai compris ce que pouvais signifier, ce jour-là, la valeur dissuasive de la peine de mort !
(...) Je sais qu'aujourd'hui et c'est là un problème majeur - certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le terrorisme. La guillotine, pensent-ils, protégerait éventuellement la démocratie au lieu de la déshonorer.
Cet argument procède d'une méconnaissance complète de la réalité. En effet l'Histoire montre que s'il est un type de crime qui n'a jamais reculé devant la menace de mort, c'est le crime politique. Et, plus spécifiquement, s'il est un type de femme ou d'homme que la menace de la mort ne saurait faire reculer, c'est bien le terroriste. D'abord, parce qu'il l'affronte au cours de l'action violente ; ensuite parce qu'au fond de lui, il éprouve cette trouble fascination de la violence et de la mort, celle qu'on donne, mais aussi celle qu'on reçoit. Le terrorisme qui, pour moi, est un crime majeur contre la démocratie, et qui, s'il devait se lever dans ce pays, serait réprimé et poursuivi avec toute la fermeté requise, a pour cri de ralliement, quelle que soit l'idéologie qui l'anime le terrible cri des fascistes de la guerre d'Espagne : "Viva la muerte !", "Vive la mort !" Alors, croire qu'on l'arrêtera avec la mort, c'est illusion.
Allons plus loin. Si, dans les démocraties voisines, pourtant en proie au terrorisme, on se refuse à rétablir la peine de mort, c'est, bien sûr, par exigence morale, mais aussi par raison politique. Vous savez en effet, qu'aux yeux de certains et surtout des jeunes, l'exécution du terroriste le transcende, le dépouille de ce qu'a été la réalité criminelle de ses actions, en fait une sorte de héros qui aurait été jusqu'au bout de sa course, qui, s'étant engagé au service d'une cause, aussi odieuse soit-elle, l'aurait servie jusqu'à la mort. Dès lors, apparaît le risque considérable, que précisément les hommes d'Etat des démocraties amies ont pesé, de voir se lever dans l'ombre, pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. Ainsi, loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme.
(...) La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. A défaut, déclarait un ministre de la justice récent, l'angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s'appelle, je crois, un sacrifice expiatoire. Et justice, pour les partisans de la peine de mort, ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas, en écho, la mort du coupable.
Soyons clairs. Cela signifie simplement que la loi du talion demeurerait, à travers les millénaires, la loi nécessaire, unique de la justice humaine.
Du malheur et de la souffrance des victimes, j'ai, beaucoup plus que ceux qui s'en réclament, souvent mesuré dans ma vie l'étendue. Que le crime soit le point de rencontre, le lieu géométrique du malheur humain, je le sais mieux que personne. Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l'assassin. Oui, le crime est malheur, et il n'y a pas un homme, pas une femme de coeur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d'abord le combattre.
Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l'être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c'est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion ?
La vérité est que, au plus profond des motivations de l'attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l'élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c'est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu'il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution.
Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence. Au-delà de la justice d'expiation, apparaît donc la justice d'élimination, derrière la balance, la guillotine. L'assassin doit mourir toute simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste !
Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d'élimination, au nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s'engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. Notre justice, et c'est son honneur, ne tue pas les déments. Mais elle ne sait pas les identifier à coup sûr, et c'est à l'expertise psychiatrique, la plus aléatoire, la plus incertaine de toutes, que, dans la réalité judiciaire, on va s'en remettre. Que le verdict psychiatrique soit favorable à l'assassin, et il sera épargné. La société acceptera d'assumer le risque qu'il représente sans que quiconque s'en indigne. Mais que le verdict psychiatrique lui soit défavorable, et il sera exécuté. Quand on accepte la justice d'élimination, il faut que les responsables politiques mesurent dans quelle logique de l'Histoire on s'inscrit.
Je ne parle pas de sociétés où l'on élimine aussi bien les criminels que les déments, les opposants politiques que ceux dont on pense qu'ils seraient de nature à "polluer" le corps social. Non, je m'en tiens à la justice des pays qui vivent en démocratie.
Enfoui, terré, au coeur même de la justice d'élimination, veille le racisme secret. Si, en 1972, la Cour suprême des Etats-Unis a penché vers l'abolition, c'est essentiellement parce qu'elle avait constaté que 60 p. 100 des condamnés à mort étaient des noirs, alors qu'ils ne représentaient que 12 p. 100 de la population. Et pour un homme de justice, quel vertige ! je baisse la voix et je me tourne vers vous tous pour rappeler qu'en France même, sur trente-six condamnations à mort définitives prononcées depuis 1945, on compte neuf étrangers, soit 25 p. 100, alors qu'ils ne représentent que 8 p. 100 de la population ; parmi eux cinq Maghrébins, alors qu'ils ne représentent que 2 p. 100 de la population. Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C'est une interrogation, ce n'est qu'une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l'abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté.
Il s'agit bien, en définitive, dans l'abolition, d'un choix fondamental, d'une certaine conception de l'homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu'il existe des hommes totalement coupables, c'est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.
A cet âge de ma vie, l'une et l'autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible.
Et je ne parle pas seulement de l'erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent et qu'une société entière - c'est-à-dire nous tous - au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi collectivement coupable puisque sa justice rend possible l'injustice suprême. Je parle aussi de l'incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont de nouveau jugés et, bien qu'il s'agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d'un homme se jouait au hasard d'une erreur de plume d'un greffier. Ou bien tels condamnés, pour des crimes moindres, seront exécutés, alors que d'autres plus coupables, sauveront leur tête à la faveur de la passion de l'audience, du climat ou de l'emportement de tel ou tel.
Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu'on éprouve à prononcer ce mot quand il y va de la vie d'une femme ou d'un homme, est intolérable. Le plus haut magistrat de France, M. Aydalot, au terme d'une longue carrière tout entière consacrée à la justice et, pour la plupart de son activité, au parquet, disait qu'à la mesure de sa hasardeuse application, la peine de mort lui était devenue, à lui magistrat, insupportable. Parce qu'aucun homme n'est totalement responsable, parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable. Pour ceux d'entre nous qui croient en Dieu, lui seul a le pouvoir de choisir l'heure de notre mort. Pour tous les abolitionnistes, il est impossible de reconnaître à la justice des hommes ce pouvoir de mort parce qu'ils savent qu'elle est faillible.
Le choix qui s'offre à vos consciences est donc clair : ou notre société refuse une justice qui tue et accepte d'assumer, au nom de ses valeurs fondamentales - celles qui l'ont faite grande et respectée entre toutes - la vie de ceux qui font horreur, déments ou criminels ou les deux à la fois, et c'est le choix de l'abolition ; ou cette société croit, en dépit de l'expérience des siècles, faire disparaître le crime avec le criminel, et c'est l'élimination.
Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'anti-justice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité.
Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
A cet instant plus qu'à aucun autre, j'ai le sentiment d'assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c'est-à-dire au sens de "service". Demain, vous voterez l'abolition de la peine de mort. Législateur français, de tout mon coeur, je vous en remercie." -- Robert Badinter, extraits du discours prononcé à l'Assemblée nationale sur l'abolition de la peine de mort en France (17 septembre 1981)

"L'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison.
Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n'y a donc pas équivalence.
Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ?
Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de morte châtiât le criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l'aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé." -- Albert Camus, Réflexions sur la guillotine (1958)

"L'exemple, le bon exemple donné par la peine de mort, nous le connaissons. Il a eu plusieurs noms. Chacun de ces noms exprime tout un ordre de faits et d'idées. L'exemple s'est appelé Montfaucon, il s'est appelé la place de Grève, il s'appelle aujourd'hui la barrière Saint-Jacques. Examinez les trois termes de cette progression décroissante : Montfaucon, l'exemple terrible et permanent ; la place de Grève, l'exemple qui est encore terrible, mais qui n'est plus permanent; la barrière Saint-Jacques, l'exemple qui n'est plus ni permanent, ni terrible, l'exemple inquiet, honteux, timide, effrayé de lui même, l'exemple qui s'amoindrit, qui se dérobe, qui se cache. Le voilà à la porte de Paris, prenez garde, si vous ne le retenez pas, il va s'en aller! il va disparaître!
Qu'est-ce à dire? Voilà qui est singulier! l'exemple qui se cache, l'exemple qui fait tout ce qu'il peut pour ne pas être l'exemple. N'en rions pas. La contradiction n'est étrange qu'en apparence; au fond il y a en ceci quelque chose de grand et de touchant. C'est la sainte pudeur de la société qui détourne la tête devant un crime que la loi lui fait commettre. Ceci prouve que la société a conscience de ce qu'elle fait et que la loi ne l'a pas. Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l'exemple. Pourquoi? Pour ce qu'il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple? Qu'il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer? En tuant.
En France, l'exemple se cache à demi. En Amérique, il se cache tout à fait. Ces jours-ci on a pu lire dans les journaux américains l'exécution d'un nommé Hall. L'exécution a eu lieu non sur une apparence de place publique, comme à Paris, mais dans l'intérieur de la prison. « Dans la geôle. » Y avait-il des spectateurs? Oui, sans doute. Que deviendrait l'exemple s'il n'y avait pas de spectateurs? Quels spectateurs donc? D'abord la famille. La famille de qui? Du condamné? Non, de la victime. C'est pour la famille de la victime que l'exemple s'est fait. L'exemple a dit au père, à la mère, au mari (c'était une femme qui avait été assassinée), aux frères de la victime : cela vous apprendra! Ah! j'oublie, il y avait encore d'autres spectateurs, une vingtaine de gentlemen qui avaient obtenu des entrées de faveur moyennant une guinée par personne. La peine de mort en est là. Elle donne des spectacles à huis clos à des privilégiés, des spectacles où elle se fait payer, et elle appelle cela des exemples !
De deux choses l'une : ou l'exemple donné par la peine de mort est moral, ou il est immoral. S'il est moral, pourquoi le cachez-vous? S'il est immoral, pourquoi le faites-vous? Pour que l'exemple soit l'exemple, il faut qu'il soit grand; s'il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir. D'efficace il devient inutile, d'enrayant, misérable. Il ressemble à une lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive et secrète n'est plus que le guet-apens de la société sur l'individu.
Soyez donc conséquents. Pour que l'exemple soit l'exemple, il ne suffit pas qu'il se fasse, il faut qu'il soit efficace. Pour qu'il soit efficace il faut qu'il soit terrible; revenez à la place de Grève! il ne suffit pas qu'il soit terrible, il faut qu'il soit permanent; revenez à Montfaucon! je vous en défie.
Je vous en défie! Pourquoi? Parce que vous en frissonnez vous-mêmes, parce que vous sentez bien que chaque pas en arrière dans cette voie affreuse est un pas vers la barbarie; parce que, ce qu'il faut aux grandes générations du XIXe siècle, ce n'est point des pas en arrière, c'est des pas en avant! parce qu'aucun de nous, aucun de vous ne veut retourner vers les ruines hideuses et difformes du passé, et que nous voulons tous marcher, du même pas et du même cœur, vers le rayonnant édifice de l'avenir!
Savez-vous ce qui est triste? C'est que c'est sur le peuple que pèse la peine de mort. Vous y avez été obligés, dites-vous. Il y avait dans un plateau de la balance l'ignorance et la misère, il fallait un contre-poids dans l'autre plateau, vous y avez mis la peine de mort. Eh bien! ôtez la peine de mort, vous voilà forcés, forcés, entendez-vous? d'ôter aussi l'ignorance et la misère. Vous êtes condamnés à toutes ces améliorations à la fois. Vous parlez souvent de nécessité, je mets la nécessité du côté du progrès, en vous contraignant d'y courir, par un peu de danger au besoin.
Ah! vous n'avez plus la peine de mort pour vous protéger. Ah! vous avez là devant vous, face à face, l'ignorance et la misère, ces pourvoyeuses de l'échafaud, et vous n'avez plus l'échafaud! Qu'allez-vous faire? Pardieu, combattre! Détruire l'ignorance, détruire la misère! C'est ce que je veux.
Oui, je veux vous précipiter dans le progrès! Je veux brûler vos vaisseaux pour que vous ne puissiez revenir lâchement en arrière! Législateurs, économistes, publicistes, criminalistes, je veux vous pousser par les épaules dans les nouveautés fécondes et humaines comme on jette brusquement à l'eau l'enfant auquel on veut apprendre à nager. Vous voilà en pleine humanité, j'en suis fâché, nagez, tirez-vous de là!" -- Victor Hugo, Discours contre la peine de mort prononcé devant Assemblée constituante, le 15 septembre 1848.

"En étudiant l'Histoire, non dans les éditions expurgées, destinées aux élèves et étudiants, mais dans les textes de ceux qui, à chaque époque, disposaient de l'autorité, on est grandement écoeuré non par les crimes des méchants, mais par les châtiments que leur infligent les bons. Une communauté est bien plus traumatisée par l'usage habituel du châtiment que par l'apparition occasionnelle de crimes et délits. "-- Oscar Wilde, The Soul of Man under Socialism (1891)

Tres años me tuvieron encerrado, tres años lentos, largos como la amargura, que si al principio creí que nunca pasarían, después pensé que habían sido un sueño; tres años trabajando, día a día, en el taller de zapatero del Penal; tomando en los recreos el sol en el patio, ese sol que tanto agradecía; viendo pasar la horas con el alma anhelante, la horas cuya cuenta – para mi mal – suspendió antes de tiempo mi buen comportamiento.
Da pena pensar que las pocas veces en esta vida se me ocurrió no portarme demasiado mal, esa fatalidad, esa mala estrella que, como ya más atrás le dije, parece como complacerse en acompañarme, torció y dispuso la cosas de forma tal que la bondad no acabó para servir a mi alma para maldita la cosa. Peor aún : no sólo para nada sirvió, sino que a fuerza de desviarse y de degenerar siempre, a algún mal peor me hubo de conducir. Si me hubiera portado mal, hubiera estado en [el penal de] Chinchilla los veintiocho años que me salieron; me hubiera podrido vivo como todos les presos, me hubiera aburrido hasta enloquecer, hubiera desperado, hubiera maldecido de todo lo divino, me hubiera acabado por envenenar del todo, pero allí estaría, purgando lo cometido, libro de nuevos delitos de sangre, preso y cautivo – bien es verdad – , pero con la cabeza tan segura sobre mis hombros como al nacer, libre de toda culpa, si no es el pecado original; si me hubiera portado ni fu ni fa, como todos sobre poco más o menos, los veintiocho años se hubieran convertido en catorce o deciéis, mi madre se hubiera muerto de muerte natural para cuando yo consiguiese la libertad, mi hermana Rosario habría perdido ya su juventud, con su juventud su belleza, y con su belleza su peligro, y yo – este pobre yo, este desgraciado derrotado que tan poca compasión en usted y en la sociedad es capaz de provocar – hubiera salido manso como una oveja, suave como una manta, y alejado probablemente del peligro de una nueva caída. A estas horas estaría quién sabe si viviendo, tranquilo, en cualquier lugar, dedicado a algún trabajo, que me diera para comer, tratando de olvidar lo pasado para no mirar más que para lo por venir; a lo mejor lo habría conseguido ya… Pero me porté lo mejor que pude, puse buena cara al mal tiempo, cumplí excedíendome lo que se me ordenaba, logré enternecer a la justicia, conseguí los buenos informes del Director… Y me soltaron; me abrieron las puertas, me dejaron indefenso ante todo lo malo; me dijeron:
– Has cumplido, Pascual; vuelve a la lucha, vuelve a la vida, vuelve a aguantar a todos, a hablar con todos, a rozarte otra vez con todos… Y creyendo que me hacían un favor me hundieron para siempre. -- Camilo José Cela, La familia de Pascual Duarte

Anticlérical fanatique
Gros mangeur d'ecclésiastiques,
Cet aveu me coûte beaucoup,
Mais ces hommes d'Eglise, hélas !
Ne sont pas tous des dégueulasses,
Témoin le curé de chez nous.

Quand la foule qui se déchaîne
Pendit un homme au bout d'un chêne
Sans forme aucune de remords,
Ce ratichon fit scandale
Et rugit à travers les stalles,
"Mort à toute peine de mort !"

Puis, on le vit, étrange rite,
Qui baptisait les marguerites
Avec l'eau de son bénitier
Et qui prodiguait les hosties,
Le pain bénit, l'Eucharistie,
Aux petits oiseaux du moutier.

Ensuite, il retroussa ses manches,
Prit son goupillon des dimanches
Et, plein d'une sainte colère,
Il partit comme à l'offensive
Dire une grand' messe exclusive
A celui qui dansait en l'air.

C'est à du gibier de potence
Qu'en cette triste circonstance
L'Hommage sacré fut rendu.
Ce jour là, le rôle du Christ(e),
Bonne aubaine pour le touriste,
Eté joué par un pendu.

Et maintenant quand on croasse,
Nous, les païens de sa paroisse,
C'est pas lui qu'on veut dépriser.
Quand on crie "A bas la calotte !"
A s'en faire péter la glotte,
La sienne n'est jamais visée.

Anticléricaux fanatiques
Gros mangeur d'ecclésiastiques,
Quand vous vous goinfrerez un plat
De curetons, je vous exhorte,
Camarades, à faire en sorte
Que ce ne soit pas celui-là.

Georges Brassens, La Messe aux Pendus

Cet homme
tout seul
avec sa bougie à la main
à l'angle du bâtiment
de briques rouges
"The Walls"
lieu d'application
de la peine capitale
à Huntsville - Texas.
Il est là
chaque soir d'exécution
avec sa bougie
parce qu'il n'est pas
d'accord
avec ce meurtre légal.
Un seul
parmi vingt-cinq mille
habitants
avec une pauvre bougie
pour combattre les
ténèbres
de l'obscurantisme
à Huntsville - Texas
où le jour se lève
drapé des noirs oripeaux
de la nuit
et de la mort.

Roland Marx

"And so to the end of history, murder shall breed murder, always in the name of right and honour, and peace, until the Gods are tired of blood and create a race that can understand." -- George Bernard Shaw




Raoul Verfeuil contre la peine de mort

Albert Louis Jules Soleilland (Nevers, 3 janvier 1881 - Île Royale, en mai 1920) est un ébéniste français reconnu coupable du viol et du meurtre d'une fillette de onze ans, Marthe Erbelding, le 31 janvier 1907. Condamné à mort le 23 juillet 1907 par la Cour d'assises de la Seine, au moment où Jaurès espérait obtenir ne abolition de la peine de mort, Soleill et est gracié par le président de la République Armand Fallières, abolitionniste. La peine de mort étant automatiquement commuée en travaux forcés à perpétuité en cas de grâce, il est envoyé au bagne à l'Île Royale, où il termine sa vie. Dans l'article ci-dessous Raoul Verfeuil dit son refus de la peine de mort dans L'Indépendant. Jean-Paul Damaggio

17 août 1907

TRIBUNE LIBRE

LA PEINE DE MORT

La peine de mort est à nouveau à l'ordre du jour. Le monstrueux crime de Soleilland, plus particulièrement, l’y remet C'était à prévoir.

Naturellement la foule la désire, la souhaite, la demande, l’exige. La foule est en effet une grande sensitive. Elle n'agit que par ses nerfs, n'obéit guère qu’à eux, n'écoute guère que leurs ordres. Elle ne raisonne pas : elle suit aveuglément ses impulsions. Bonnes ou mauvaises, heureuses ou désastreuses, elle se laisse gouverner par elles, quitte, plus tard, à se ressaisir pour de nouveau tomber dans le même piège capricieux.

C'est pourquoi — étant donné ce phénomène plutôt physique, quoique relevant en grande partie de l’éducation — il ne faut pas attacher une trop grande importance aux cris sanguinaires dont certaine presse se fait depuis quelque temps complaisamment l'écho.

Nous n'avons pas, d'ailleurs, pour étayer notre opinion, à savoir si le public est ou non de notre avis; si l'ignoble élégante et dépravée société qui envahissait ce jour-là le Palais de Justice de Paris a accueilli ou non la condamnation de Soleilland par d'enthousiastes bravos. Le public est un grand enfant et la société spéciale qui suivait le dernier procès est évidemment détraquée.

Toute la France serait-elle pour le maintien de la peine de mort, il s'agirait encore de connaître les raisons invoquées.

Or, ces raisons ne sont pas sérieuses. On prétexte le nombre plus ou motus ascendant des crimes, Le châtiment n’étant pas, dit-on, assez impitoyable, les revolvers partent, les couteaux frappent tout seuls.

Ceci est contestable. Je lisais en effet, il y e peu de jours, une statistique d'après laquelle le nombre des crimes et délits aurait diminué ces dernières années. Seulement, la publicité qu'on leur accorde est plus grande. Auraient-ils augmenté que cela ne prouverait pas davantage.

Outre qu'on n'a pas, moralement, le droit de tuer, les criminels, d'après des savants éminents et des hommes illustres, sont des malades. Nous le croyons sans peine. Il est banal de le répéter, mais ils relèvent plutôt d'une maison de santé, d'un hôpital que de la guillotine ou même de la prison. On ne peut pas admettre, malgré l'avis sujet à caution des docteurs, qu'un Soleilland soit sain d’esprit sinon de corps. Un individu bien portant ne commettra jamais un pareil forfait. Si l’on admet que si, il faut forcément admettre que nous sommes tous capables, susceptibles d’agir de même, ce qui, raisonnablement parlant, est une monstruosité.

Comme le disait il y a quelques temps dans la Dépêche, le docteur Toulouse, sans être littéralement fou, on peut être irresponsable. Nous subissons les influence souvent fatales, en tout cas déterminantes dans un certaine mesure, des milieux que nous avons connus ou traversés, de l’éducation plus ou moins déplorable qui nous a été donnée. Le crime, précisément consisterait à nier ces influences ou à les méconnaître. Ce crime ou, tout au moins, cette erreur criminelle, les partisans de la peine de mort ne se font pas faute de la commettre. Ils ne veulent rien savoir. Un individu a supprimé un quelconque de ses semblables : vite, qu'on le supprime à son tour.

Eh bien ! cette attitude est odieuse parce que barbare.

En fait, la peine capitale est aujourd’hui rayée de nos mœurs. De grâce, qu'on ne la rétablisse pas. Au point de vue de la sécurité publique, cela n'aurait aucun avantage. Je ne sache pas, en effet, que les décollations passées aient empêché en quoi que ce soit les assassins de continuer leurs exploits. Le fameux exemple, comme toujours, n'a pas abouti à grand chose.

Au point de vue civilisation, humanité, le rétablissement ou le maintien du châtiment suprême est un contre-sens et une monstruosité. Le sang versé dans de pareilles conditions dénote des mœurs de sauvages, indignes de notre époque. Celui qui a coulé récemment à Narbonne et à Raon-l'Etape est plus que suffisant. Aussi peu intéressants que soient les meurtriers, nous ne pouvons pas les tuer. Nous deviendrions meurtriers à notre tour et ne pourrions pas invoquer des circonstances atténuantes.

Du reste, la guillotine a déjà trop de victimes à son actif. Il est temps qu’on la juge elle aussi, qu’on la condamne et… qu’on l’exécute. Raoul Verfeuil

Aucun commentaire: