La belle indignée
La photo montre une dame âgée devant la prison de
Huntsville. La dame porte une pancarte. «Klaxonnez pour mettre fin aux
exécutions». C'était le 12 juin dernier. Le jour où le Texas a exécuté son 499e
condamné depuis le rétablissement de la peine de mort. Quelques coups de klaxon
n'y ont rien changé.
J'ai tout de suite reconnu la manifestante sur la photo qui
accompagne cet article du Houston Chronicle soulignant ce jubilé funeste. C'est
Joanne Gavin, belle indignée de 80 ans que j'ai eu la chance de rencontrer au
cours d'un reportage au Texas l'hiver dernier. De ces personnages qu'on
n'oublie pas une fois le calepin refermé.
Je l'ai reconnue à sa posture et à son entêtement. Le dos si
courbé qu'on dirait qu'elle porte sur ses épaules le poids de chacune de ces
499 exécutions texanes. Presque pliée en deux, mais néanmoins debout, fidèle à
ses convictions. «La peine de mort, cela n'a rien à voir avec la justice. Cela
a tout à voir avec la vengeance. C'est revenir à la barbarie», répétait-elle.
Dans le top 5 des pays bourreaux, les États-Unis sont en
bien mauvaise compagnie. En cinquième place, avec 43 exécutions en 2012, ils
côtoient la Chine, l'Iran, l'Irak et l'Arabie saoudite.Les militantes anti-peine de mort Joanne Gavin (à gauche) et Jean Dember photographiées le 29 janvier dernier, jour où la 500e exécution prévueau Texas a été reportée.
Pour Joanne Gavin, depuis plus de 30 ans, chaque jour d'exécution à Huntsville fut un jour de manifestation. Elle était là ce soir de novembre 1982 où le Texas a exécuté son premier condamné par injection létale. À l'époque, il n'était pas rare que des étudiants du collège voisin injurient les manifestants anti-peine de mort. «Ils s'arrêtaient et criaient: ''Faites le frire!'' »
Dans cet État qui se vante d'être le champion des exécutions aux États-Unis, manifester contre la peine capitale prend un certain courage et une incroyable détermination. Pour Joanne Gavin, pionnière du mouvement abolitionniste texan, cela semble aller de soi. Son engagement remonte à l'époque de la lutte pour les droits civiques. Il en est le prolongement logique.
Le Texas est un État clé dans la lutte contre la peine de mort, m'a expliqué Joanne. De la même façon que le Mississippi était un État clé dans la lutte contre la ségrégation. «Quand je militais dans le mouvement des droits civiques, on se disait: «Si on peut tailler une brèche dans le Mississippi, on pourra tailler une brèche partout ailleurs dans le pays.»»
C'est la même chose dans la lutte contre la peine de mort. Si on peut tailler une brèche au Texas... À lui seul en 2012, le Texas fut responsable de plus du tiers des mises à mort au pays. Si cet État était un pays, il se retrouverait au huitième rang mondial des pays qui pratiquent la peine de mort, entre le Soudan et l'Afghanistan, selon un récent rapport d'Amnistie internationale.
Ce n'est pas un hasard si la plupart des États où la peine capitale est pratiquée sont des États du Sud. La peine de mort est un héritage de l'esclavage et de la ségrégation. En fait, 85% des exécutions aux États-Unis sont le propre d'anciens États de la confédération, m'a rappelé l'expert en droits de la personne Rick Halperin. «Qui sont les gens qui sont tués? Ce sont des gens pauvres et des gens de couleur pour la plupart. Qui leur donne une sentence de mort? Des jurys blancs, des procureurs blancs, des juges blancs. C'est dégoûtant.»
Ainsi, pour un même crime, les accusés sont traités différemment, selon qu'ils soient blancs ou de minorités, riches ou pauvres. Si la victime est blanche, le risque pour l'accusé de se retrouver dans le couloir de la mort est plus élevé.
«Nous n'avons plus d'esclavage légal en Amérique, dit Rick Halperin. Nous n'avons pas de ségrégation légale. Nous ne sommes plus supposés... Mais nous continuons cet héritage raciste en tuant des gens.»
Joanne Gavin va encore plus loin. «L'esclavage n'a jamais
été aboli dans ce pays. Il est simplement passé du privé au public.» Un fil
honteux lie l'arbre du pendu et la chambre d'exécution, dit-elle. À ses yeux,
la peine de mort n'est rien d'autre que du «lynchage légal».
La 500e exécution prévue mercredi est celle de Kimberly
McCarthy, une femme noire de 52 ans condamnée à la suite du meurtre d'une femme
blanche commis en 1997. Son exécution était d'abord prévue le 29 janvier, le
jour où la photo qui accompagne cette chronique a été prise. En après-midi,
Joanne et d'autres militants du Texas Death Penalty Abolition Movement
s'apprêtaient à prendre la route pour Huntsville quand la nouvelle est tombée:
Kimberly McCarthy avait obtenu in extremis un report de son exécution. Une requête
pour tenter de lui sauver la vie avait été déposée par ses avocats. Leur pari:
prouver que la condamnée à mort avait été victime de discrimination raciale au
moment de la sélection du jury. Un jury quasi exclusivement composé de Blancs
dans un État où la culture de la ségrégation n'a pas disparu.
Si les appels de dernière minute échouent, l'exécution de
Kimberly McCarthy, mercredi, sera la 500e de l'ère moderne au Texas. Une ère
moderne qui, comme le dit Joanne, a encore des relents de barbarie.
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