Un Breton envoyé au bagne pour un crime
sans témoins, sans cadavre et sans aveux : la controversée affaire
Seznec continue, près d'un siècle après les faits, de hanter et d'agiter
les esprits.
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Un visage sec et émacié, la peau fripée comme un parchemin. Et un regard
cristallin qui vous transperce. Ce visage, cliché en noir et blanc de
Guillaume Seznec âgé, hante les annales judiciaires depuis 92 ans. Mai
1923. Le 25, il fait encore nuit quand Guillaume Seznec, 45 ans,
entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, prend la route avec Pierre
Quéméneur, 45 ans, négociant en bois résidant à Landerneau et conseiller
général du Finistère. Les deux hommes se sont retrouvés à Rennes, la
veille, et doivent se rendre à Paris à bord d'une Cadillac appartenant à
Seznec, mais gagée à Quéméneur pour garantir un prêt. Les deux hommes
vont négocier un gros contrat de vente de véhicules américains de la
Première Guerre mondiale. Dans la nuit du 27 au 28, Seznec rentre chez
lui à Morlaix, avec sa Cadillac. Quéméneur, qui avait annoncé à ses
proches qu'il rentrerait au plus tard le 28, ne réapparaîtra jamais.
Un télégramme et une valise
Le 4 juin, à la soeur de Quéméneur qui s'inquiète, Seznec raconte qu'en
raison de pannes répétées de la voiture, il a dû laisser son compagnon
de route à la gare de Dreux (Eure et Loir), le 25 au soir, à 80 km de
Paris. Quéméneur avait rendez-vous, dit-il, le lendemain à Paris, à 8 h,
avec un dénommé « Sherdly » ou « Chardy », l'Américain avec qui il
devait traiter l'affaire de vente. « Peut-être a-t-il dû aller jusqu'en
Amérique », poursuit Seznec. Le 10 juin, la disparition de Quéméneur est
signalée à la 13e brigade de police mobile de Rennes. Le 13 juin, un
télégramme signé « Quéméneur » est déposé au Havre, principal port de
départ pour l'Amérique. Il indique : « Ne rentrerai Landerneau que dans
quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ». La famille demande
la fin des recherches, mais se ravise le 16 juin, doutant de
l'authenticité du télégramme. Le 20 juin, une valise de Quéméneur est
retrouvée à la gare du Havre. À l'intérieur, les enquêteurs découvrent
notamment une promesse de vente de Quéméneur à Seznec, tapée sur une
machine à écrire Royal-10 (ce qui est rare à l'époque), portant sur une
propriété située à Plourivo, dans les Côtes-d'Armor, et un carnet
personnel dans lequel figurent ses frais de train entre Dreux et Paris,
et entre Paris et Le Havre. Après vérification, les prix indiqués sont
erronés. Rapidement, les enquêteurs mettent en doute la version donnée
par Seznec. Le 30 juin, Guillaume Seznec est inculpé d'assassinat et de
faux en écriture privée.
124 témoins et experts
Huit mois plus tard, l'instruction est bouclée. Seznec a été interrogé à
67 reprises et confronté 30 fois aux témoins, en présence de son
avocat. Un supplément d'information est néanmoins demandé. Trente-neuf
nouveaux témoins sont notamment entendus. Le 28 juillet 1924, Seznec est
renvoyé devant la cour d'assises du Finistère, pour assassinat et faux
en écriture privée. Dans l'acte d'accusation, douze principales charges
battent en brèche sa version des faits. Celui-ci n'a pas pu quitter
Quéméneur à Dreux, car huit témoins les ont vus ensemble à Houdan, 20 km
plus loin sur la route menant à la capitale. Seznec, qui a nié avoir
quitté le Finistère après la fin mai, a été reconnu par de nombreux
témoins au Havre, le 13 juin, jour où il a acheté, sous un faux nom,
dans un commerce jouxtant le bureau de poste où le télégramme de
Quéméneur fut déposé, la fameuse machine à écrire ayant servi à rédiger
la promesse de vente. C'est encore Seznec qui est reconnu par deux
témoins en gare du Havre, le 20 juin, trois heures avant que la valise
de Quéméneur ne soit retrouvée. Et c'est encore lui qu'accablent trois
experts en écriture ayant examiné le télégramme, les promesses de vente
et le carnet de Quéméneur. Du 24 octobre au 4 novembre 1924, la cour
d'assises entend 124 personnes, témoins, experts et juge d'instruction,
dont 26 pour la défense. Le 4 novembre, Seznec échappe de peu à la peine
de mort et est condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour meurtre
(la préméditation n'a pas été retenue) et faux en écriture privée.
Guillaume Seznec purge sa peine au bagne de Cayenne (commuée à vingt ans
en 1938). Après une remise de peine de dix ans, il est libéré en 1947.
Il meurt le 13 février 1954, à l'âge de 76 ans, trois mois après avoir
accidentellement été renversé par une camionnette, à Paris.
En complément
Révision : un non massif
Contrairement à ce qu'affirmait Denis Seznec en 2006, la révision du
procès n'a pas été repoussée à quelques voix près, mais à une écrasante
majorité, comme le confiaient, en 2010, au Télégramme, trois magistrats
de la cour de cassation ayant travaillé sur le dossier. "Seuls trois,
voire quatre magistrats ont voté pour la révision."
Odell Barnes Jr.
L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf
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