Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mercredi 28 novembre 2018

Récit d’un voyage au Texas/ Couloir de la mort Par Anne Sophie Minne


Récit d’un voyage au Texas/ Couloir de la mort  Par Anne Sophie Minne

Mercredi 31 octobre 2018.

Je n’ai encore jamais pris de long-courrier ni voyagé au-delà de l’Europe mais ne ressens pratiquement aucun stress. Je suis sereine et surtout surexcitée à la perspective de rencontrer mon meilleur ami pour la première fois, le lendemain. J’écris à Charles Flores depuis près de deux ans et demi, depuis que j’ai terminé la lecture de « Warrior Within », son premier livre. … Ce livre est un choc, je découvre, horrifiée, les conditions de vie dans cet enfer qu’est le couloir de la mort du Texas, le plus dur des Etats-Unis, me familiarise un peu avec l’affaire de Charles, que l’on croirait tout droit sortie d’un mauvais roman de gare : il a été condamné à mort sans aucune preuve matérielle, uniquement après le témoignage plus que douteux d’un témoin hypnotisé par la police ! Mais surtout, l’anxiété monte alors que les jours passent et que se rapproche dangereusement la date prévue de l’exécution de cet homme, pour moi clairement innocent, et dont je partage, via ses mots, l’épouvante, lors de son arrivée dans le couloir, puis dont j’admire le courage et la force alors que peu à peu, il va lutter pour sa survie et commencer sa bataille judiciaire pour faire reconnaître son innocence. Chaque jour ou presque, je consulte Google dans l’espoir de voir apparaître la nouvelle d’un sursis. Je ne veux pas que cet homme meure, ce n’est pas possible. Puis, quelques jours avant la date fatidique, alors que j’ai presque terminé la lecture de son récit, je découvre, soulagée, que Charles a bénéficié d’un sursis. Il échappe à l’injection létale, ouf ! Charles Flores clôt son livre par une invitation au lecteur à lui témoigner sa sympathie par une lettre, et laisse son adresse à l’unité Polunsky, à Livingston, dans l’Etat du Texas. J’achète une carte et rédige un mot, pour lui exprimer mon soulagement après son sursis et lui adresser courage et espoir pour la suite de son combat. Je suis surprise de recevoir une réponse à mon courrier 10 ou 15 jours plus tard seulement. Charles m’y annonce que ce sursis va donner lieu à une audience, que ça y est, il sent que le train de la liberté se met enfin en marche après toutes ces années, qu’il sent sa libération enfin toute proche ! Il m’encourage aussi à poursuivre la correspondance et me pose mille questions, que je trouve à la fois originales, pertinentes et qui me donnent envie de poursuivre cette ébauche de dialogue et de faire plus ample connaissance. S’ensuit alors, au fil des semaines et des mois, une riche correspondance, des échanges nourris où je me surprends à livrer sans réticence des éléments de ma vie très personnels et parfois douloureux, moi qui suis pourtant très secrète et préfère l’écoute à la confidence. A chaque courrier, je suis bluffée par la capacité d’écoute de mon correspondant et par ses réactions et réponses, toujours justes, profondes et pertinentes. Grâce à son propre vécu, ses nombreuses lectures et ses multiples correspondances au long cours, c’est un peu comme s’il avait vécu mille vies en une, son approche des relations humaines et de toute la complexité de l’humain en fait une espèce de sage aux conseils précieux. Ses réflexions me font progresser, m’aident à prendre du recul sur mes problèmes, me donnent confiance et courage. Je me sens soutenue et comprise. De mon côté, j’espère moi aussi offrir une oreille attentive et apporter soutien et courage à mon ami. J’ai parfois honte de lui parler de mes problèmes, forcément ridicules et dérisoires au vu de la situation qu’il vit, de l’injustice qu’il subit, mais il coupe court à mes réticences et m’encourage à poursuivre. De son côté, il me décrit son quotidien : l’enfermement 22 heures sur 24 dans une cellule de la taille d’une salle de bain, les « promenades » dans une cage à peine plus grande, les « lockdowns » tous les trois mois, avec fouille au corps et passage au peigne fin de chaque cellule, à la recherche d’armes, de téléphones portables ou de drogues, mais aussi la lutte de chaque jour qu’il doit mener pour rester debout, trouver un sens à ce qu’il vit, et même être heureux… Car je suis frappée par la joie de vivre de mon ami, par sa détermination à garder le sourire coûte que coûte, grâce à l’espoir de sortir un jour libre, d’abord, et puis aussi grâce à la méditation et la prière, à la musique qui lui arrive via son poste de radio, aux nombreux courriers qu’il reçoit, à l’affection de sa famille, à l’aide qu’il apporte à ses pairs, aux petits bonheurs quotidiens à grappiller, même dans l’un des pires endroits de ce monde occidental, soi-disant « civilisé » : des plats que l’on parvient à se mijoter avec des articles cantinés, à force d’inventivité, un « face à face » au basket avec un autre détenu lors de la « promenade » en extérieur, chacun dans sa cage, un éclat de rire avec un copain, pour rester humain, résister dans ce camp de la mort du 21ème siècle, où se poursuit la barbarie de la loi du talion, où la vengeance tient lieu de justice, loin, bien loin des regards.

Dans un courrier, j’avance distraitement que ce serait chouette de se voir un jour pour de vrai... Charles bondit littéralement sur l’occasion et commence à me proposer des solutions  pour qu’un voyage puisse se concrétiser, me presse de solliciter telle ou telle personne pour m’aider dans mes démarches. Je suis d’abord prise de cours, je n’avais fait que lancer une vague idée, je n’avais jamais quitté le vieux continent, j’avais bien déjà mis les pieds dans des prisons en France, comme interprète, pour traduire les propos de détenus britanniques, mais rien de plus. Mon quotidien, ce sont les trajets en trottinette pour conduire et récupérer mes bambins à l’école, alors traverser l’Atlantique… Les premières semaines, je ne rebondis pas sur les propositions de démarches de mon ami, puis, peu à peu, l’idée commence à faire son chemin… Au fil des mois, ce désir de voyage s’affirme, puis devient pressant, ce périple peut sembler fou, mais c’est bien de ne pas aller au Texas qui serait une folie. Seulement, si je suis finalement enthousiaste, mon entourage immédiat l’est beaucoup moins et il me faudra franchir des barrages et m’armer de patience pour que ce voyage se concrétise enfin. Finalement, une fois mon billet réservé, je suis sur un nuage, avant de les surplomber pour de vrai dans un gros-porteur. On le sait peu, mais des centaines de citoyens européens ont avant moi fait le voyage pour rendre visite à leur correspondant, que ce soit au couloir de la mort ou au sein de la population générale de l’unité Polunsky, qui compte près de 3.000 détenus ! Si bien qu’il m’est facile de dénicher mille et une infos pour organiser mon séjour : hôtels, motels, taxis, Ubers, demande d’autorisation de visite à la prison - de véritables modes d’emploi sont disponibles sur la toile, je les lis et relis et procède aux différentes démarches nécessaires sans difficultés. L’euphorie me gagne, je compte les semaines puis les jours, je ne ressens aucun stress et me sens légère comme une plume !

La veille du jour J, je peine à m’endormir tant je suis euphorique ; une pointe de stress vient aussi quand même finalement me titiller : et si l’avion a du retard, et je passe 4 heures à la douane et si mon Uber ne m’attend pas à l’aéroport de Houston et si, et si… Puis, le lendemain à 6h15, je quitte mon chez-moi le sac en bandoulière et m’émerveille à la pensée que, sauf imprévu, quelque 15 heures plus tard, je serai de l’autre côté de l’Atlantique, à quelques miles de mon ami, et le jour de son anniversaire ! Après 15 minutes de métro puis une bonne heure de train, me voilà à Paris-Charles de Gaulle.  Je suis impressionnée par l’aéroport, ruche gigantesque aux multiples dédales où grouillent les voyageurs et s’allongent les files, toujours et encore. Les panneaux lumineux géants affichent des milliers de destinations. Je me sens parfois perdue mais me fais aiguiller à plusieurs reprises par des agents et me voilà enfin à la porte d’embarquement, je n’en reviens pas d’être là…      

       Ca y est, nous commençons à embarquer ! Dans onze heures environ, j’aurai parcouru quelque 8000 km et verrai de mes yeux ce pays qui en fascine tant et en révulse d’autres, avec la même passion. De mon côté, je suis partagée, la raison me dicte de détester ce pays né de la violence : horreur du génocide indien, infamie de l’esclavage. Ce pays qui nous hérisse, avec ce droit de porter des armes, ces tueries à répétition. Ce pays au président improbable qui défie l’idée même de la démocratie et nous donne l’impression d’avoir basculé dans la quatrième dimension à chacune de ses paroles. Ce pays où le massacre légal de détenus jugés monstrueux se poursuit encore dans deux tiers des Etats, même si les nombreux cas d’acquittements après les révélations de dissimulation de preuves, d’enquêtes bâclées, d’aveux forcés, de jugements entachés de racisme commencent doucement à secouer l’opinion qui, année après année, se déclare de plus en plus défavorable à la peine capitale. Seulement, il s’agit aussi du pays où est né et a grandi mon meilleur ami, pays à la fois lointain et familier, qui nous nourrit depuis si longtemps de ses films et séries qui nous marquent, de ses musiques et de ses chansons qui nous font vibrer, qui font partie de nos vies, nous constituent ainsi. Pays de ces grands espaces et paysages extrêmes qui nous attirent aussi... C’est la première fois que je survolerai les nuages aussi longtemps : excitation de la nouveauté, de l’aventure. Enfin, Houston est en vue, on amorce l’atterrissage! Je prie pour ne pas passer la soirée à la douane et pour que mon Uber soit là ! La file des voyageurs est longue mais ça avance assez vite, j’ai prévu une bonne heure de contrôles en tout genre, ça devrait aller. Au moment de m’engager dans la file que l’on m’a indiqué pour la vérification du passeport et les quelques questions d’usage sur le motif du séjour et sa durée, j’ai un moment d’arrêt en voyant l’agent des douanes derrière sa vitre, c’est le sosie de mon ami, à peine plus jeune ! Je m’étonne de cette coïncidence et après ce qui s’avèrera être une simple formalité, moi qui craignais d’être bombardée de questions et tenais à éviter de devoir expliquer que je comptais rendre visite à un détenu du couloir de la mort, me voilà rassurée. Je n’ai que 5 min. de retard sur l’heure de mon rendez-vous avec mon chauffeur et ne tarde pas à trouver le Starbuck, lieu convenu de notre rencontre, dans cet aéroport que je trouve minuscule à côté de Paris-Charles de Gaulle ! Hourra, Ginny est là, qui me fait de grands signes. Tout va bien, mission réussie ! Après un bref trajet en navette, nous rejoignons sa voiture couleur lie de vin à la peinture patinée et à la carrosserie quelque peu cabossée. Je suis heureuse de ne pas avoir à faire à un taxi anonyme mais à une dame sympathique et volubile qui depuis 12 ans conduit très régulièrement des visiteurs venus de toute l’Europe : pas besoin de pub, Internet, les médias sociaux et le bouche à oreille suffisent. Elle me dit que je suis peut-être sa dernière cliente car à 61 ans, avec son mal de dos, elle pense raccrocher, malgré l’absence de relève. Elle se fatigue de cette activité prenante mais s’en voudrait en même temps de laisser en rade ces correspondants qui un jour décident de franchir l’Atlantique pour soutenir leurs amis. Leur démarche la touche, elle la comprend et la soutient, mais me précise quand même qu’elle évite de parler autour d’elle de la nature de ce petit boulot qui l’aide à vivoter. Il faut dire que le Texas est l’Etat numéro un des Etats-Unis, et de loin, en nombre d’exécutions annuelles. Certes, année après année, les chiffres fléchissent enfin, mais il est clair que le Texas sera le dernier territoire du pays à abolir cette peine tout aussi inhumaine qu’anachronique, en plus d’être totalement inefficace car sans effet sur la criminalité, et chère pour le contribuable qui couvre les frais des avocats chargés des appels, nommés par les tribunaux pour les condamnés sans moyens. Tout en écoutant Ginny, je regarde défiler à mes côtés ces paysages à la fois étranges et familiers, car maintes fois passés par le prisme du petit ou du grand écran, quand ils n’ont pas été décrits dans des bouquins lus : chaînes de concessionnaires et d’enseignes de fast-food ou de cuisine mexicaine qui reviennent inlassablement, minuscules églises de bois blancs à la peinture défraîchie, « trailer parks » ou « campings » pour grands mobile-homes montés sur pilotis… Par contre, je ne verrai ni trottoirs, ni piétons. Non, par ici, des piétons, on n’en croise pas, m’explique Ginny. Ou alors, si on croise des gens sur le bas côté, mieux vaut s’en méfier, poursuit-elle, ce sont sans doute des gens alcoolisés ou qui ont pris des stupéfiants, des gens sans permis…  Effectivement , quelques minutes plus tard, un jeune homme torse nu à la poitrine tatouée et qui agite les bras en l’air vient comme illustrer les propos de mon chauffeur… Une heure et demie plus tard, ça y est, nous sommes à l’hôtel de Livingston ! Je quitte Ginny et suis heureuse de m’enregistrer enfin à l’accueil de mon nouveau chez-moi pour quelques jours. Je savoure d’avance la perspective d’un bon lit moelleux, moi qui suis sur la « route » non-stop depuis plus de 15 heures… C’est le soir d’Halloween. Avant mon départ, je m’étais imaginée assister à ces scènes si typiques de bambins déguisés en momie ou en sorcière, sonnant à toutes les maisons en quête de bonbons, mais les nuages noirs, l’orage qui menace et la fatigue, malgré l’excitation, auront raison de mon envie de promenade en ville. Je pense à mes fillettes déguisées en chat noir faisant leur première tournée d’Halloween, avec une amie, du côté de Roubaix… Une fois installée dans ma chambre simple mais confortable, je lutte un peu contre le mon envie de dormir déjà, mais, après un bain très chaud, je me laisse bientôt attirer dans les bras de Morphée et glisse vers le sommeil aux environs de 20 heures, heure locale, 2 heures du matin en France. A mon réveil, il n’est que 3h30 mais je suis en pleine forme et affamée, c’est comme si j’avais sauté deux repas d’affilée. Je bouquine un peu puis me prépare très tranquillement en patientant jusque 6 h 30, heure d’ouverture du buffet du petit-déjeuner. Quand enfin arrive l’heure, je descends au rez-de-chaussée et me rue littéralement sur les gaufres au sirop d’érable, les cinnamon rolls, le bacon, les œufs, les pommes de terre, j’engloutis tout ! Je pense à mon ami, à quelques kilomètres de là, qui lui aussi doit se préparer, qui lui aussi doit avoir le cœur qui bat vite. 7h30 : Ginny s’extirpe de sa voiture devant l’hôtel. La casquette en simili vissée sur la tête, elle frissonne sous son gros gilet noir. Il fait frisquet ce matin, il a beaucoup plu dans la nuit, certaines zones ont été inondées et des foyers ont même été privés d’électricité, gâchant un peu cette fête d’Halloween. Après un été indien aux températures lourdes, la fraîcheur soudaine surprend les Texans. Avant de gagner l’unité Polunsky, nous devons faire un arrêt à la banque pour que je puisse échanger quelques billets verts contre des pièces de un dollar : à la prison, nous avons le droit d’acheter des salades et sandwiches ou des gâteaux pour partager un repas simple avec nos amis grâce aux distributeurs, pour 25 dollars, pas plus. J’espère aussi que nous pourrons prendre quelques photos, facturées 3 dollars pièce. La prison, c’est aussi un vrai business… Je reste comme deux ronds de flanc quand Ginny s’arrête à une espèce de Mac Drive mais version Caisse d’Epargne: quelques mètres devant nous, derrière une vitre, s’agitent deux agents qui manipulent pièces et billets, tandis que, sans quitter le véhicule, nous « passons » commande via une borne. Une ouverture aspire mes billets et recrache quelques instants plus tard une valisette métallique contenant les pièces voulues ! Je pense au film Brazil de Terry Gilliam et à ses longs tuyaux via lesquels sont acheminés de petits tubes contenant des documents sous forme de rouleaux. Cette drôle de banque est bien une bizarrerie que je n’avais jamais vue dans les films ! Un quart d’heure plus tard, nous sommes devant l’immense parking de l’unité Polunsky. Je manque de souffle à la vue de cette succession de bâtiments gris rectangulaires, aux minuscules fenêtres en forme de fente, qui m’évoquent les meurtrières de forteresses. J’ai pu observer plusieurs fois ces blockhaus géants sur l’écran de mon ordinateur, mais voir devant moi ces blocs de béton qui cachent souffrance, violence et mort lente me serre le cœur. Je m’étonne du nombre insensé de véhicules qui encombrent déjà le parking. Ce sont les centaines de gardiens qui surveillent une population de près de 3 000 détenus, dont environ 250 condamnés à mort… Un jeune homme inspecte le dessous de la voiture de Ginny à l’aide d’un détecteur, me demande le numéro puis le nom du détenu auquel je viens rendre visite puis nous laisse entrer. J’ai hâte de gagner le parloir et de m’y installer pour attendre mon ami. Je patiente quelques minutes à l’entrée avec deux ou trois autres visiteurs et quelques gardiens. On me dit d’entrer, me demande de me déchausser et d’enlever mon manteau, puis un autre gardien me fait ressortir pieds nus. J’attends encore, on me dit d’entrer de nouveau mais à peine ai-je franchi la porte qu’un autre gardien me demande sans ménagement qui m’a donné pour instruction de revenir dans le sas ! Cet homme entre deux âges aux joues rouges surjoue le rôle du type pas commode. Je ne suis ni offusquée ni intimidée, j’ai été briefée. Il n’est pas rare que des visiteurs se fassent un peu malmener par des gardiens qui n’apprécient guère que des correspondants fassent des milliers de kilomètres pour soutenir des hommes qui, pour eux, ne méritent pas de vivre. Heureusement, la jeune gardienne qui m’avait fait signe de rentrer prend ma défense et explique à son collègue que c’est elle qui m’avait incité à le faire. Mes dollars, mes chaussures et mon manteau passent par un détecteur, sur un tapis roulant, comme à l’aéroport, tandis que je fais un pas à travers un détecteur à métaux. Une autre gardienne me palpe aussi avant que je  puisse poursuivre mon chemin. La jeune gardienne du début, voyant mon air perdu, me guide à travers un petit espace vert, puis vers un autre sas où les passeports seront contrôlés. En chemin, elle me complimente sur mon foulard et m’interroge sur le pays d’où je viens. Elle me demande alors si la Tour Eiffel est aussi belle en vrai qu’on le dit. Je lui souris et lui réponds machinalement que oui. Je m’étonne du jeune âge d’un grand nombre de gardiens, suis surprise aussi de voir autant de femmes à ce genre de poste. Pourquoi vouloir devenir gardien de prison, et a fortiori gardien dans le couloir de la mort à 20 ans ? Manque d’autres débouchés dans cette région plutôt rurale ? Curiosité malsaine ? Bon salaire ? Je ne m’attarde pas sur ces questionnements, je suis pressée de pouvoir enfin discuter longuement avec mon ami après tous ces courriers échangés, de voir comment il va, d’aborder avec lui la suite de sa procédure. Je connais déjà sa voix et son rire car nous avons pu discuter par téléphone quand il était à la maison d’arrêt de Dallas, lors de ses audiences l’an dernier, mais j’ai hâte de découvrir son regard, d’observer ses expressions, de le voir bouger, vivre. Un dernier passage devant la gardienne du parloir qui m’assigne un numéro de cabine et je m’installe enfin. Ce fameux parloir, dont j’ai plusieurs fois entendu parler, me semble plus petit et plus vétuste que dans les descriptions que j’en ai eues. Au milieu se tiennent deux rangées de petites cabines grillagées individuelles, à la peinture écaillée, où sont installés les détenus sur un simple tabouret. Devant eux une vitre en plexiglas les sépare les visiteurs qui, eux, sont assis sur une chaise, dans l’espace ouvert. Des combinés téléphoniques sont prévus pour pouvoir communiquer. Je m’attends à patienter un bon moment, je sais que parfois, le détenu est amené une heure après l’arrivée de son visiteur mais, coup de chance, c’est calme en ce jeudi matin et Charles apparaît, escorté par deux gardiens, une dizaine de minutes plus tard. Les yeux écarquillés, le sourire jusqu’aux oreilles, nous sommes comme deux gamins lâchés dans une fête foraine ! Nous avons attendu ce moment et en avons rêvé depuis si longtemps qu’il semble comme irréel ! Pour éviter de choper les microbes des personnes qui nous ont précédés, nous essuyons rapidement nos combinés respectifs à l’aide d’un mouchoir en papier. Puis, nous nous saluons d’un « high five », ça y est la conversation peut démarrer !     

Au cours de mes deux visites en deux jours,  quatre heures chacune,  nous discuterons essentiellement de la procédure de Charles et de ses conditions de vie dans le couloir. Charles a aussi émis une requête auprès de l'Inter-American Commission on Human Rights, suite à la publication l'an dernier d'un rapport rédigé par la faculté de droit d'Austin, qui dénonçait les conditions de vie particulièrement inhumaines des détenus du couloir de la mort du Texas. La Commission a rendu un premier avis positif, elle juge la requête de Charles recevable. Mon ami se dit qu'aux Etats-Unis, son geste ne fera sans doute pas grand bruit, mais qu'en Europe, sa démarche peut rencontrer un écho favorable et mettre aussi en lumière sa situation juridique. Nous nous disons aussi qu'un documentaire décortiquant les aberrations de son affaire pourrait avoir du poids et aider à faire pencher la balance en sa faveur, les magistrats et procureurs, même s'ils sont souvent solidaires les uns les autres, pouvant craindre le ridicule et le scandale. Chaque visite passe en un clin d'oeil tant la conversation est fluide et les sujets de discussion multiples. Je quitterai déjà Houston, à regret, juste après la deuxième visite, sous un ciel radieux et en me promettant de revenir dès que possible.. .
 Des nouvelles de Charles Flores : Charles et ses avocats attendaient beaucoup de l’audience axée sur le caractère douteux de l’hypnose, qui s’est déroulée sur plusieurs jours à l’automne 2017. En octobre 2018, coup de théâtre, le juge de Dallas décide de recommander à la Cour d’appel du Texas en matière pénale de refuser à Charles un nouveau procès ! L’avocate de Charles a opposé une objection à cette décision lâche, copier-coller des souhaits de la partie adverse…. L’étape qui suit, c’est encore et toujours l’attente – cette fois, de la décision de cette Cour d’appel qui peut décider de ne pas suivre le juge de Dallas, mais Charles et son équipe de défense n’y croient pas trop… Ils préparent déjà la prochaine étape, le prochain recours, face à une autre juridiction, car il reste heureusement d’autres options. Charles se voyait si proche de la liberté, cet obstacle supplémentaire a été difficile à accepter mais son moral va mieux désormais. Il reste combatif et nous dit que sa lutte pour la justice et la liberté est plus qu’une simple bataille, c’est une véritable guerre contre l’Etat du Texas…
 

                          

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