Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

samedi 6 avril 2019

Bouddhiste ou musulman, des condamnés à mort inégaux devant la justice aux Etats-Unis

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/04/bouddhiste-ou-musulman-des-condamnes-a-mort-inegaux-devant-la-justice_5445465_3210.html?xtor=EPR-33281036


La Cour suprême des Etats-Unis vient d’émettre deux décisions contradictoires sur des affaires de liberté religieuse, suscitant l’incompréhension.
Par Stéphanie Le Bars Publié hier à 03h36, mis à jour hier à 06h28
Temps de Lecture 3 min.
LETTRE DE WASHINGTON
Dans les couloirs de la mort des prisons américaines, mieux vaut être bouddhiste et blanc que musulman et noir. A quelques semaines d’intervalle, deux condamnés à mort en ont fait l’inexplicable expérience. L’un, dans l’Alabama, a été promptement exécuté par injection létale. L’autre, au Texas, a été momentanément épargné et a rejoint sa cellule dans l’attente d’une nouvelle date.
Les deux hommes n’avaient pas grand-chose en commun, si ce n’est un passé judiciaire chargé, une pratique religieuse avérée et une même demande d’être accompagnés dans leurs derniers instants par le soutien spirituel de leur choix : un imam pour Domineque Haim Ray et un moine bouddhiste pour Patrick Henry Murphy.
En deux décisions contradictoires, prises à seulement sept semaines d’intervalle, la Cour suprême des Etats-Unis en a décidé autrement. A cinq voix contre quatre, les juges ont en février refusé au musulman de l’Alabama la présence de son imam dans la salle d’exécution. Mais fin mars, ils ont accepté la demande du détenu bouddhiste de surseoir à son exécution ; ce dernier contestait le refus de l’Etat du Texas de lui octroyer le droit d’être accompagné par son conseiller spirituel, qu’il rencontre régulièrement depuis sa conversion au bouddhisme il y a dix ans.

Manque de « neutralité »

Dans le premier cas, la cour a estimé, sans vraiment le justifier, que la demande n’était pas recevable car elle avait été envoyée « trop tard », soit dix jours avant l’exécution. Selon la loi en vigueur en Alabama, M. Ray, condamné à mort pour le meurtre d’une adolescente en 1995, a pu bénéficier de la présence consolatrice de l’aumônier chrétien, salarié de la prison et seul ministre du culte habilité dans cet Etat à se tenir aux côtés des condamnés au moment de l’injection. Les responsables de la prison ont mis en avant des raisons de sécurité, estimant qu’une personne extérieure pouvait gêner la procédure ou s’évanouir. Habitué aux visites de son imam en prison, M. Ray, visiblement, ne connaissait pas ce protocole.
Les quatre juges libéraux, Elena Kagan, Ruth Bader Ginsburg, Stephen Breyer et Sonia Sotomayor ont fait part de leur désaccord face au vote de la Cour suprême et souligné un manque de « neutralité ». Déplorant que, selon la loi de l’Etat, « seul un chrétien peut être accompagné pour pratiquer les derniers rites », ils ont qualifié la décision de leurs cinq collègues conservateurs de « profondément mauvaise ». « La liberté de religion doit être garantie à tous les croyants, quelle que soit leur foi », a aussi commenté l’American Civil Liberties Union (ACLU), organisation de défense des droits.
Ce droit fondamental, particulièrement défendu aux Etats-Unis, est apparemment revenu à la mémoire de quelques-uns des juges de la Cour suprême. Le 28 mars, ils ont appuyé la demande du condamné bouddhiste à mourir aux côtés de son soutien spirituel, alors que l’administration pénitentiaire du Texas n’emploie jusqu’à présent qu’un ministre du culte chrétien et un imam.
Seuls deux juges, Clarence Thomas et Neil Gorsuch, ont voté pour qu’il soit mis à mort sans délai. Le dernier juge conservateur nommé par Donald Trump, Brett Kavanaugh, a tenté d’expliquer son changement de pied. « L’Etat doit traiter toutes les dénominations religieuses de manière équivalente », a-t-il avancé. Autrement dit, soit les ministres de tous les cultes sont autorisés dans la chambre d’exécution en fonction de la demande du condamné, soit tous sont cantonnés dans la salle vitrée attenante.

Incompréhension

Une position de bon sens, qui n’a fait qu’ajouter à l’incompréhension face à la première décision. L’ACLU a dénoncé « l’apparente incohérence » de la cour. Pour Ilya Somin, professeur à la faculté de droit Antonin Scalia de l’université George Mason, « les juges ont réalisé un peu tard qu’ils avaient fait une erreur. Et pas n’importe laquelle : une erreur qui ternit leur réputation et celle de la cour ».
Face à ce deux poids-deux mesures, l’indignation est de fait aussi venue des rangs de la droite. Le magazine conservateur National Review a estimé que « l’obligation de l’Etat était de protéger et de faciliter le libre exercice de la religion [pour tout un chacun], pas de chercher des raisons pour lui refuser un réconfort au moment de sa mort ».
A 57 ans, M. Murphy, condamné pour agressions sexuelles puis pour un meurtre – qu’il nie – lors d’une évasion avec six codétenus, en 2000, attend désormais une prochaine date pour son exécution. La prison devra autoriser son conseiller à l’assister dans ses derniers moments ou lui choisir un autre religieux bouddhiste. Dans l’Alabama, l’affaire est close. La presse a détaillé les derniers instants du condamné débouté : M. Ray a prononcé ses derniers mots en arabe, l’index levé vers le ciel, selon la tradition musulmane, et le regard tourné vers son imam. Assis, avec ses avocats, de l’autre côté de la vitre.

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