Je me suis endormi en pensant à elle, avec le mince espoir qu’un tribunal ou une grâce lui permettrait de survivre à la nuit. Je me suis réveillé ce matin, sans le savoir, à l’instant même où le cocktail létal de barbituriques injecté dans ses veines achevait de lui ôter la vie. A 7 h 31, heure de Paris, six de moins au pénitencier de Terre Haute, dans l’Indiana, Lisa Montgomery est morte. Première prisonnière exécutée par le gouvernement fédéral en près de 70 ans.

Lisa Montgomery, 52 ans, n’avait rien d’une innocente. L’atrocité de son crime et sa culpabilité n’ont jamais fait débat. Le 16 décembre 2004 à Skidmore, dans le nord-ouest rural du Missouri, elle a étranglé puis éventré une femme enceinte de 23 ans, Bobbie Stinnett, pour lui voler l’enfant prématuré. Arrêtée le lendemain avec la petite fille, miraculeusement indemne, qu’elle tentait de faire passer pour la sienne, Lisa Montgomery a tout avoué. Quatre ans plus tard, un jury populaire l’a condamnée à mort.

Lisa Montgomery n’était pas innocente, non. Mais elle était malade. Psychotique, souffrant de troubles mentaux extrêmes, conséquences d’une vie de violences abjectes subies sur fond de misère crasse : fœtus alcoolisé, enfant maltraitée, adolescente violée en réunion par son beau-père et les amis de celui-ci, puis prostituée par sa mère et violée, encore et encore, par son premier mari. Incapables de montrer au jury l’humain derrière l’horreur, ses premiers avocats l’ont conduit tout droit dans le couloir de la mort.

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Lisa Montgomery y aura passé près de douze ans, consacrant son temps au tricot, à la lecture et à la prière, avalant un lourd traitement quotidien pour soigner ses psychoses, mais perdant malgré tout, et de plus en plus souvent, le contact avec la réalité. Son équipe de défense pense qu’elle n’a sans doute pas compris, cette nuit, ce qui lui arrivait ni pourquoi. La décision de l’administration Trump de mettre son nom sur la liste des prisonniers à exécuter, dans le cadre de la reprise – après dix-sept ans de moratoire – des exécutions fédérales, avait estomaqué ses avocats.

Pourquoi elle ? Comme souvent avec Trump, aucune raison objective n’a émergé. Il fallait que «justice soit faite» et donc que des gens meurent. Onze prisonniers fédéraux ont été exécutés depuis l’été dernier, du jamais vu depuis plus de cent vingt ans. Les abolitionnistes dénoncent la «soif de sang» du gouvernement Trump. Les plus fervents partisans de la peine de mort, encore soutenue par une grosse moitié d’Américains, ne voient guère le problème. Il est pourtant sous leurs yeux. Qu’une autre administration conservatrice, vertueuse, irréprochable ait pu un jour décider de relancer les exécutions fédérales, pourquoi pas ? Mais Trump et ses sbires, qui tout en se drapant honteusement dans l’étendard de «la loi et l’ordre», n’ont eu de cesse de les piétiner, jusqu’à inciter un assaut contre le Capitole pour contester une élection légitime ? L’indécence à son comble.

«Nous nous battrons jusqu’au bout pour sauver la vie de Lisa, me confiait lundi l’une de ses avocates, Sandra Babcock. Son exécution serait une offense à nos concepts les plus basiques de moralité et de décence humaine.» Moralité et décence humaine. En relisant ces mots ce matin, la réalité éclate. L’histoire était écrite. Il fallait que ce soit Trump, ce narcissique égotique et dépourvu de toute boussole morale. S’il l’avait pu, il aurait sans doute appuyé lui-même sur la seringue. Le costume de bourreau lui va si bien.

Frédéric Autran