Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mardi 25 janvier 2022

La lettre de Sabrina Van Tassel à Emmanuel Macron: “Sauvez Melissa, condamnée à mort au Texas”

 


Dans le documentaire “L’État du Texas contre Melissa”, sorti en salles en septembre, la réalisatrice française exposait l’erreur judiciaire dont semble être victime Melissa Lucio, une mère de famille hispano-américaine, et dont la date de l’exécution vient d’être fixée.

La journaliste et réalisatrice française Sabrina Van Tassel a rencontré Melissa Lucio lors d’un reportage sur des femmes dans le couloir de la mort à Gatesville, au Texas. Pauvre, d’origine hispanique et mère de quatorze enfants, Melissa Lucio était accusée d’avoir tué Mariah, sa fillette de 2 ans, en février 2007. Un infanticide, pour les policiers qui ont extorqué des aveux – les enregistrements vidéo de sa garde à vue le prouvent – à cette mère anéantie par la perte son enfant quelques heures plus tôt.
Dans L’État du Texas contre Melissa, Sabina Van Tassel déconstruit le dossier judiciaire avec brio. Emmenant le spectateur – accablé en début de film par ce qui s’apparente à de la maltraitance – vers une lecture radicalement opposée au bout de 90 minutes. Le film a circulé dans les plus grands festivals (Tribeca, Deauville, Cannes hors compétition…) et a été largement récompensé. La plateforme de streaming Hulu a permis au public américain et sud-américain de découvrir le drame qu’endure Melissa Lucio depuis quinze ans.
Mais le succès du film n’a pas protégé Melissa Lucio. En annonçant que la mère de famille serait exécutée le 27 avril prochain, le bureau du comté de Cameron a provoqué l’effroi et l’incompréhension chez tous ceux qui croient en son innocence. Sabrina Van Tassel s’adresse aujourd’hui, sur notre site, à Emmanuel Macron, qui a annoncé faire de 2022 une année tournant dans « l’abolition universelle de la peine de mort » à travers le monde.

« Monsieur le président,

L’histoire de Melissa Lucio a bouleversé ma vie. Depuis quinze ans, cette mère de famille hispano-américaine de 53 ans clame son innocence. Elle a été condamnée à mort au Texas en 2007 pour infanticide. Cinéaste et journaliste grand reporter, je lui ai consacré un film, L’État du Texas contre Melissa, sorti en salles le 15 septembre dernier, dans lequel je contre-enquête et démontre l’existence d’une terrible erreur judiciaire. Diffusé sur quatre continents, présenté dans trente-cinq festivals, récompensé par treize prix, mon film a fait le tour du monde. Je pensais que cela la sauverait. Quelle erreur ! Sa date d’exécution vient, en effet, d’être fixée au 27 avril prochain.

Alors que nous avons célébré les quarante ans de l’abolition de la peine de mort dans notre pays, le sort de Melissa Lucio est entre nos mains. En 2019, la cour d’appel du Texas avait annulé sa condamnation, au motif qu’elle n’avait pas eu droit à un procès équitable, et avait statué en faveur de sa libération immédiate. Mais l’État du Texas a tout de suite fait appel et la cour, extrêmement divisée (10 voix contre 7), a finalement réitéré la condamnation à mort de Melissa Lucio. Nos derniers espoirs se plaçaient en la Cour suprême des États-Unis. Mais ses juges n’analysent pas les nouveaux éléments d’un dossier, comme ceux que j’ai pu apporter dans mon film. Ils ne cherchent que les erreurs de procédure. La Cour suprême a donc refusé d’examiner l’affaire.

On sait qu’aux États-Unis des innocents sont exécutés

Plus de 2 500 condamnés à mort aux États-Unis, et au Texas en particulier, vivent la même situation que Melissa, mais, une fois tous leurs recours écoulés, ils peuvent attendre leur date d’exécution pendant des années. Au regard des nombreux conflits d’intérêt qui salissent cette affaire (dont le cas du procureur ayant statué sur l’affaire Lucio qui est lui-même en prison pour extorsion et corruption) et de l’impact international du film, nous espérions que la justice de Brownsville – comté de Cameron – tarderait avant de fixer une date d’exécution. Mais c’est tout le contraire qui s’est passé. Leur but est de tuer Melissa le plus vite possible. Pour éteindre l’affaire. Pour ne plus en entendre parler.

J’ai appris la nouvelle par son avocat, qui m’a appelée à 1 heure du matin. Cette date du 27 avril a été immédiatement confirmée par le juge, alors qu’habituellement cela peut prendre des semaines. Depuis, les enfants de Melissa m’ont contactée en me demandant : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Une de ses filles menace de se suicider. Une autre aussi veut « partir avec sa mère ». Un de ses fils ne répond plus au téléphone. Un autre tente de mobiliser la communauté latino. Tous essayent d’alerter le plus grand monde possible pour que Melissa Lucio ne devienne pas la première femme hispanique exécutée au Texas.

On sait qu’aux États-Unis des innocents sont exécutés. Le système judiciaire américain a une propension à commettre de grave erreurs, a fortiori si les accusés sont pauvres, noirs, hispaniques, ou qu’ils ont été défendus par un avocat commis d’office qui bâcle le procès. Depuis les années 1970, près de 200 personnes qui étaient dans le « couloir de la mort » ont été libérées. Après trois ans d’investigation, et la lecture des 7 000 pages du dossier, après avoir enquêté sur toutes les pistes, parlé avec tant d’experts, face à tous les doutes exposés dans le film, comment est-il possible que Melissa Lucio soit exécutée ? Pour toutes ces raisons, je suis en colère. Je me suis donnée corps et âme pour la libération de cette femme, de l’innocence de laquelle je suis convaincue.

« Nous devons libérer Melissa parce que son sort est inacceptable. »

Aujourd’hui, j’en appelle à la France et à vous, Monsieur le président, parce que je suis française, et qu’en tant que Français, nous nous devons d’être fiers d’avoir aboli la peine de mort. Je crois en les valeurs de notre pays. Je crois qu’au lendemain des quarante ans de l’abolition de la peine de mort par Robert Badinter, nous nous devons de tout faire pour arrêter cette barbarie. Lors de la cérémonie anniversaire au Panthéon, vous avez lancé un appel en faveur de « son abolition universelle », ajoutant que c’était pour vous – et nous tous –un « combat de civilisation » à mener « en Européens » en 2022, au moment où la France démarre la présidence de l’Union européenne. Un combat pour faire en sorte que tous ces gens qui n’ont pas voix au chapitre, les plus pauvres, ne finissent pas exécutés par injection létale.

S’il vous plaît, Monsieur le président, parlez au gouverneur du Texas, parlez au président des États-Unis, parlez à vos homologues américains, dites-leur que nous sommes au courant, dites-leur que nous les observons, que nous les regardons. Par le passé, la France a fait pression dans plusieurs autres affaires de condamnés à mort et notre voix a pesé. Nous devons le faire aujourd’hui pour sauver et libérer Melissa parce que son sort est inacceptable. Et parce qu’il faut éradiquer la peine de mort pour le bien de l’humanité. Melissa Lucio est en 2022 le symbole de l’erreur judiciaire et de la lutte contre la peine de mort. »

Sabrina Van Tassel

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