Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mardi 20 octobre 2009

Trois pas et demi

Le texte ci-dessous a été dicté à Hank W. Skinner par Billy Frank 'Sonny' Vickers, tous deux détenus dans le couloir de la mort du Texas.

Billy Vickers devait être exécuté à la prison de Huntsville,
The Walls, le 9 décembre 2003.

Au Texas, les éxécutions capitales ont lieu à 18 heures. Billy Vickers, dont les avocats avaient déposé des recours, a attendu jusqu'à minuit (heure légale à laquelle expire l'ordre d'exécution) dans une minuscule cellule contigüe à la salle d'exécution. Une fois l'heure légale expirée, il a été reconduit dans le couloir de la mort du Texas, à Polunsky Unit, une prison située à une cinquantaine de kilomètres de Huntsville. Billy Vickers voulait partager son expérience avec le plus grand nombre.

Billy et Hank étaient détenus dans des cellules voisines. Comme Billy n'avait plus la force d'éc
rire, il a demandé à Hank Skinner de transcrire leurs conversations. Ce texte est un verbatim qui possède les caractéristiques du genre.

Billy Vickers a été exécuté à la prison de Huntsville le 28 janvier 2004.




"Tout a commencé en septembre, quand ils ont fixé la date de mon exécution. Jusque là, c'était une éventualité appartenant à l'avenir. J'ai eu l'impression qu'un poids gigantesque me tombait sur les épaules. Maintenant, c'était réel. D'un seul coup, le calendrier me semblait plus imposant, et chaque date avait quelque chose de menaçant. Chaque jour, chaque heure, chaque minute, j'étais envahi par les mêmes pensées, comme : "Bon, c'est probablement la dernière fois que je fais (ou vois, entends, dis, lis, etc.) ceci." Tout prenait le goût de ce sentiment oppressant de fin inéluctable. Les pensées tourbillonnaient dans ma tête pendant des heures et des heures. Chaque matin, en me réveillant, je me disais qu'il me restait un jour de moins.

"Parfois, je pensais à des gens que j'avais connus dehors, qui étaient morts de façon horrible et je me suis rendu compte que je les enviais. Pour eux, même s'ils avaient connu une fin terrible, ça n'avait duré que quelques instants/minutes. Pour moi, ça a duré onze (11) ans. Elle a toujours été là (la mort). Et aujourd'hui, elle plane au-dessus de moi. Elle m'accorde encore quelques jours. J'avais du mal à imaginer comment j'allais pouvoir survivre jusqu'à la fin, et je me suis dit que c'était dingue de penser un truc pareil.

"Le jour de mon exécution, je n'ai pas pu fermer l'oeil. Impossible d'avoir la moindre pensée cohérente. Tout semble durer une éternité et pourtant je me demande sans cesse où sont passées toutes les minutes. Et puis les regrets m'envahissent, car je pense surtout à ma famille et au mal que je leur fais. Je pense et je repense à des choses que j'aurais dû dire à mes proches et que j'ai oublié de leur dire. Des choses que j'aurais dû écrire. Mais maintenant il est trop tard. On dirait que le temps ralentit tandis qu'ils me rendent visite, que je leur répète encore et encore que je les aime et que je leur dis adieu.

"Et d'un seul coup, je me retrouve menotté, les fers aux pieds et embarqué dans la camionnette, et il est trop tard pour dire quoi que ce soit. Toutes ces pensées, tous ces regrets, je les ressasse pendant toutes les heures que je passe dans la cellule d'isolement [de Huntsville], à attendre qu'on vienne me chercher pour me tuer.

"Dans la cellule d'isolement, je n'arrête pas de penser à ma famille. Je prie pour que leur soient épargnés la douleur et les tourments, je prie pour tenir le coup, pour trouver la force d'affronter seul cette épreuve. Et puis je me surprends à me remémorer le trajet en camionnette jusqu'à Huntsville, les sens exacerbés au point que cela en était douloureux. A chaque voiture, chaque arbre, chaque bâtiment ou maison que nous avons croisés, je me suis dit : "Bon, ça, je ne le verrai plus jamais." Puis j'ai commencé à entendre chaque battement de mon coeur, comme si je le tenais contre mon oreille. Mais en même temps, c'était vraiment douloureux, et je me demande comment il pouvait continuer à battre aussi fort.

"Je suis interrompu dans mes pensées par le directeur de la prison qui vient m'expliquer ce qui va se passer quand le moment sera venu. Il me désigne une porte que j'aperçois depuis ma cellule, et m'explique que derrière cette porte se trouve la salle d'exécution. A l'heure légale, ils viendront me chercher. Si je ne peux pas marcher, ils me porteront. Quoi que je fasse, l'exécution aura lieu. Il m'explique que le prêtre sera bientôt là.

"Le prêtre arrive et me dit que, quand je serai allongé sur la civière, il sera à mes côtés et qu'il posera une main sur ma cheville.

"Ces gens qui me parlent, je sais que ce sont des gens, mais en même temps, je les vois comme autre chose ou je les vois d'une façon négative. Ces pensées semblent comme suspendues dans ma tête. On dirait que le soir tombe, mais on est au milieu de la journée et partout les lumières sont allumées. Puis j'aperçois la porte vers laquelle l'ambulance va reculer pour venir prendre mon cadavre, et c'est à ce moment que la réalité me rattrape de plein fouet : "Ils vont me tuer !" Il n'y a pas de mots pour décrire la pression que je ressens tandis que je prie pour qu'ils hâtent leurs préparatifs et qu'on en finisse une fois pour toutes.

"Chaque fois qu'un walkie-talkie grésille, qu'une porte claque, qu'un téléphone sonne, je tressaille de tout mon corps. Ce calvaire dure pendant six (6) heures, pratiquement sans interruption. Le prêtre me dit de ne pas m'inquiéter si j'entends des bruits de pas et des mouvements de l'autre côté du mur : c'est juste l'équipe d'exécution qui se prépare (pas la peine de t'inquiéter ils sont juste là pour te tuer ! H.W.Skinner). Effectivement, ils m'ont "inquiété" pendant ces longues heures de torture.

"Tout en arpentant ma cellule, je parle avec le prêtre. Je me dis que je vais avoir une crise cardiaque avant même qu'ils me sanglent sur cette croix horizontale et qu'ils m'enfoncent des aiguilles dans les bras à défaut de clous. Depuis deux heures, je suis assailli par des sueurs froides. Peux plus penser. Juste marcher, marcher, marcher. Trois pas et demi. Demi-tour. Trois pas et demi. Demi-tour. Je ne me souviens pas de ce que le prêtre m'a dit. Des grappes de mots.

"Je grignotte quelques bouchées de mon dernier repas mais je ne sens pas le goût de ce que j'avale. Je regarde le plateau et je m'aperçois que j'ai dû y toucher.

"18 heures. Rien. Marcher, marcher, faire ces trois pas et demi. 19 heures. 20 heures. Toujours rien. J'ai la bouche tellement sèche qu'aucune quantité d'eau ne pourrait me désaltérer. Je sais que cette porte va s'ouvrir d'une minute à l'autre et qu'ils me traîneront vers cette civière et ces aiguilles. C'est sûr. C'est sûr. Chaque fois que je cligne des yeux pour évacuer les gouttes de sueur, je la vois s'ouvrir, cette porte.

"21 heures. Je n'arrête pas de marcher. Je n'en peux plus ! Aucune issue possible. "Mon Dieu, faites qu'on en finisse ! Qu'on en finisse d'une façon ou d'une autre !" On dirait que mon esprit a été étiré dans des millions de directions.

"22 heures. Marcher, marcher, marcher. Je sais que mes avocats se démènent et je veux encore espérer, mais cette porte... Je me dis que si on m'avait accordé un sursis, j'en aurais déjà été informé.

"23 heures. Marcher. Marcher. J'ai l'impression que tout mon corps va exploser et se dissoudre en un brouillard. Rien de ceci n'est réel.

"Dix minutes avant minuit. J'ai l'esprit tellement embrouillé que toutes ces pensées confuses, désarticulées, traversent mon esprit dans toutes les directions à une telle vitesse qu'on dirait un murmure ou une plainte ininterrompus. On me dit qu'il est trop tard, qu'on ne peut plus le faire. On m'ordonne de me préparer à retourner à Polunsky. Je n'y comprends rien. Je devrais être mort. Je me rappelle à peine du trajet du retour. Je ne parviens pas à marcher droit."

Source : The Case of Hank Skinner

Photos : Téléphone installé dans la salle d'exécution de la prison de Huntsville ; cellules d'isolement de la prison de Hunstville. Au fond, la salle d'exécution.

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