Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mardi 20 octobre 2009

La double mort de Willie Francis

Pendant neuf mois, le meurtre d'Andrew Thomas, le pharmacien de St Martinville, petite bourgade tranquille de Louisiane, demeura une énigme pour les autorités.

Une énigme non résolue jusqu'au mois d'août 1945.

A quelque deux cents kilomètres de là, au Texas, la police venait d'arrêter un jeune Noir de seize ans, Willie Francis, dans le cadre d'une affaire sans rapport avec le meurtre commis en Louisiane.

Au moment de son arrestation, Wille Francis portait sur lui le portefeuille du pharmacien de St Martinville.

Willie fut auditionné par les policiers. Dans un premier temps, il déclara que plusieurs personnes étaient impliquées dans ce meurtre, et il donna des noms. Mais très rapidement, les enquêteurs écartèrent cette hypothèse et abandonnèrent cette piste.

Quelque temps après, Willie reconnut être l'auteur des faits et déclara, sous serment et par écrit, qu'il s'agissait "d'un secret entre le pharmacien et moi."

Dans son livre, "L'exécution de Willie Francis", Gilbert King explique cette déclaration par la rumeur qui courait alors à St Martinville selon laquelle le pharmacien avait abusé sexuellement du jeune homme.

Par la suite, Willie conduisit les policiers à l'endroit où il s'était débarrassé de l'étui contenant l'arme du crime. Le revolver utilisé pour abattre le pharmacien avait été retrouvé près du corps de la victime : c'était l'arme de service d'un shérif adjoint de St Martinville, qui avait déjà publiquement menacé de tuer Thomas.

Ce revolver, ainsi que les balles qu'il contenait, disparurent de la salle des pièces à conviction peu de temps avant le procès.

Malgré des aveux répétés à deux reprises, Willie Francis plaida non coupable.

Pendant le procès, son avocat commis d'office ne souleva aucune objection, n'appela aucun témoin à la barre et n'offrit aucune défense face à l'accusation. A aucun moment, il ne remit en cause la validité des aveux passés par l'accusé.

Deux jours après le début des débats, Willie Francis était déclaré coupable de meurtre et condamné à la peine capitale par douze jurés et un juge acadiens.

L'avocat de Willie décida de ne pas faire appel du jugement.

Le 3 mai 1946, dans la petite prison de St Martinville, Willie Francis était sanglé sur la chaise électrique "itinérante" expédiée depuis la prison d'Angola, le Pénitencier d'Etat de Louisiane.

A midi, les cloches de l'église de "Notre Dame de Perpetual Secours" résonnèrent comme chaque jour. Des habitants s'étaient déjà rassemblés dans les rues adjacentes à la prison pour assister à l'exécution. A l'intérieur, les deux bourreaux, qui empestaient l'alcool, s'activaient autour de la chaise électrique, une monstruosité de 150 kg de métal et de chêne qu'ils avaient dû porter à dos d'homme jusqu'au premier étage du bâtiment.

A midi et huit minutes, le bourreaux abaissa une manette.

Plus tard, des témoins de l'exécution déclarèrent que, dès la première décharge électrique, le jeune homme s'était mis à hurler derrière le masque de cuir qui lui dissimulait le visage : "Enlevez-moi ça ! Enlevez-moi ça ! Laissez-moi respirer !" D'autres témoins rapportèrent que Willie avait crié : "Ça m' tue pas ! Ça m' tue pas !"

Les décharges répétées ne vinrent pas à bout de la jeune vie de Willie Francis. On le détacha et, sonné comme un boxeur sur un ring, il regagna sa cellule.

On découvrit plus tard que, sous l'influence de l'alcool, le capitaine Foster et le détenu Vincent Venezia, tous deux expédiés du pénitencier d'Angola pour installer la chaise électrique, avaient mal respecté la procédure d'assemblage. La liaison par câbles entre le groupe électrogène installé dans le camion pénitentiaire garé derrière la prison et la chaise électrique située au premier étage de l'édifice était défectueuse. En outre, dès la première décharge, Willie s'était débattu dans ses sangles et la chaise s'était déplacée.

Après avoir miraculeusement survécu, Willie retrouva le couloir de la mort. Il reçut bientôt un document officiel l'informant que l'Etat de Louisiane procéderait de nouveau à son exécution six jours plus tard.

Des lettres et des télégrammes affluèrent à la prison de St Martinville de tous les Etats-Unis. Des Noirs comme des Blancs s'émurent du sort réservé à ce jeune homme. Avait-il été sauvé par la main du tout-puissant ? L'Etat de Louisiane avait-il le droit de l'exécuter une deuxième fois ? Ce jeune garçon était-il la victime innocente des Blancs de Louisiane ?...

Après cette exécution ratée, un jeune avocat acadien récemment démobilisé, Bertrand DeBlanc, décida d'assurer la défense de Willie. DeBlanc interjeta appel auprès de la Cour suprême des Etats-Unis, citant les Cinquième, Huitième et Quatorzième amendements de la Constitution.

Lors du vote préliminaire, les juges de la plus haute juridiction américaine se prononcèrent en faveur de Willie. Un greffier annonça par erreur à l'avocat du jeune condamné que son client était sauvé. En fait, par cinq voix contre quatre, la Cour suprême avait rejeté l'appel de Willie Francis.

Dans leurs motivations, les quatre juges qui s'étaient prononcés en faveur du condamné s'interrogeaient ironiquement sur le nombre de tentatives nécessaire pour que des exécutions répétées deviennent un châtiment "cruel et inhabituel", violant ainsi le Huitième amendement de la Constitution.

Dans les coulisses, le juge Felix Frankfurter, qui, par son vote, avait fait pencher la balance en faveur d'une nouvelle exécution, s'adressa secrètement au gouverneur de Louisiane pour lui demander de commuer la sentence.

Le 9 mai 1947, Willie Francis fut une nouvelle fois sanglé sur la chaise électrique et exécuté. Il avait dix-huit ans.


Autres temps, autres mœurs ? Le 15 septembre dernier, Romell Broom était sanglé sur la civière d'exécution d'une prison de l'Ohio, le Southern Ohio Correctional Facility, pour recevoir une injection létale. Après deux heures d'efforts pour trouver sur le condamné une veine susceptible de recevoir un cathéter, l'équipe chargée de l'exécution finit par jeter l'éponge. Ted Strickland, le gouverneur de l'Ohio, accorda à Romell Broom un sursis d'une semaine, l'Etat de l'Ohio n'ayant pas renoncé à procéder, comme dans le cas de Willie Francis, à une nouvelle tentative d'exécution. Les avocats de M. Broom ont initié une série d'appels qui ont introduit un moratoire de facto sur les exécutions dans l'Ohio et qui pourraient faire jurisprudence dans les autres états rétentionnistes des Etats-Unis. (Octobre 2009)


Sources : The Execution of Willie Francis: Race, Murder, and the Search for Justice in the American South, Gilbert King, Basic Civitas Books, 2009 (le lien commercial n'est fourni qu'à titre indicatif, sans but lucratif) ; Wikipedia, Death Penalty Information Center.

Photos : Willie Francis, dit "le veinard" (notez les doigts croisés), dans la prison de New Iberia, quelques jours après son exécution ratée ; la chaise électrique "itinérante", Gruesome Gertie, lors de son installation dans la prison de St Martinville ; la prison de St Martinville à l'époque.

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