Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

vendredi 25 juillet 2014

Etats-Unis : l'injection létale, une mise à mort à l'agonie

Les souffrances subies par les condamnés lors de récentes exécutions ont relancé le débat sur le manque d'humanité, non pas de la peine de mort, mais de l'injection létale. Une méthode de plus en plus décriée outre-Atlantique.
 
Une heure et 57 minutes. C'est le temps qu'il a fallu à Joseph Wood, un condamné à mort de 55 ans, pour succomber à l'injection létale qui lui avait été administrée. Une agonie sans précédent pour une procédure prenant normalement entre 10 et 15 minutes.
Outre-Atlantique, la nouvelle a relancé la polémique sur la question de l'injection létale, technique d'exécution la plus utilisée dans les 32 Etats américains où la peine de mort est encore légale. Depuis quelques mois, plusieurs incidents ont en effet poussé certaines associations et personnalités politiques à affirmer que cette méthode d'exécution n'est pas nécessairement la plus "humaine".

Une méthode loin d'être infaillible

2014 serait d'ores et déjà la pire année en matière de bavures commises lors d'exécutions par injection létale, selon le magazine américain The New Republic (en anglais). Le 9 janvier, lorsqu'on lui a injecté le paralysant censé lui éviter toute douleur, Michael Wilson, un condamné à mort de l'Oklahoma, a ainsi hurlé : "Je sens tout mon corps me brûler !" Une semaine plus tard, dans l'Ohio, Dennis McGuire a passé 26 minutes à suffoquer avant que son cœur ne s'arrête enfin.
En avril, la polémique a encore enflé après la lente agonie de Clayton Lockett, un détenu condamné à mort en 2000 pour le viol et le meurtre d'une jeune femme. Le prisonnier, en théorie inconscient, s'est mis à haleter, à convulser et à tenter de se relever après avoir reçu l'injection. Clayton Lockett est mort d'une crise cardiaque au bout de 40 minutes, alors que les chargés de l'exécution tentaient en vain d'interrompre la procédure. Barack Obama était alors intervenu, pour demander que le Département de la Justice étudie les problèmes liés à la mise en application de la peine de mort, rapporte le Guardian (en anglais).
Il ne s'agit pourtant pas là des premiers ratés lors d'une injection létale. Le Centre d'information sur la peine de mort (en anglais) liste ainsi plus d'une quarantaine d'"éxécutions bâclées" depuis 1982. Difficulté à trouver des veines pour la perfusion, aiguilles plantées directement dans la jugulaire, nécessité d'injecter une seconde dose de barbiturique pour provoquer la mort... Le calvaire enduré par les prisonniers américains a souvent duré de longues et douloureuses minutes.

Pénurie de barbituriques et tests sur les condamnés

Durant des années, les injections létales consistaient en un cocktail de trois produits : un sédatif, un paralysant et un dernier produit provoquant un arrêt cardiaque. Mais les prisons américaines se trouvent depuis quelques mois face à une pénurie de barbituriques, selon Le Monde. Après l'arrêt de la production du sédatif le plus utilisé lors des exécutions, les établissements pénitentiaires se sont tournés vers le pentobarbital, normalement utilisé pour euthanasier les animaux. Mais face aux critiques, le laboratoire danois produisant le médicament a décidé de cesser de le vendre aux prisons américaines.
Les Etats-Unis ont alors décidé d'utiliser de nouveaux produits, pour la plupart non approuvés par l'Agence fédérale de contrôle des médicaments. Selon Mother Jones (en anglais), le cocktail de produits utilisé lors de l'exécution de Clayton Lockett n'avait jamais été testé avant de lui être injecté. La prison n'avait donc aucune certitude sur les effets exacts des barbituriques ou le temps qu'il faudrait avant qu'ils provoquent la mort du détenu.
La provenance de ces médicaments, qui ne sont pas fabriqués par de véritables laboratoires, a suscité la controverse aux Etats-Unis, toujours selon Le Monde. Les avocats de plusieurs condamnés à mort ont déposé des recours devant le tribunal pour connaître la nature exacte des produits qui leur seraient injectés. Réponse de la Cour suprême de l'Oklahoma, dans le cas de Clayton Lockett : "Il n'a pas plus le droit aux informations qu'il demande que s'il était exécuté sur la chaise électrique."

Le personnel médical mal formé

La question du personnel réalisant ces exécutions se pose aussi. Selon le Centre d'information sur la peine de mort (en anglais), la présence d'un médecin serait nécessaire ou conseillée lors des injections létales dans la plupart des Etats où elles sont pratiquées. Problème : le serment d'Hippocrate interdit aux médecins d'assister ou de participer à une exécution. Les Conseils de l'ordre des médecins de chaque Etat se réservent donc le droit de poursuivre leurs membres pour violation des règles d'éthique, s'ils venaient à administrer une injection.
Certains ont bien sûr contourné l'interdiction, disant que leur présence permettait d'éviter des souffrances inutiles aux condamnés à mort. Mais dans la plupart des cas, ces exécutions sont réalisées par des infirmiers ou du personnel n'ayant qu'une formation médicale très limitée. "Les bourreaux sont choisis parmis un groupe d'employés pénitentiaites volontaires, explique le Centre d'information sur la peine de mort (en anglais). Il semble qu'il n'y ait pas beaucoup de vérifications sur leur parcours."
Cette situation peut s'avérer très problématique en cas de réaction allergique du détenu ou lors du calcul des doses d'anesthésiants et de barbituriques. Dans de nombreux cas, les "bourreaux" ont en outre passé de longues minutes à chercher une veine pour poser une perfusion. Les veines de certains condamnés à mort, anciens consommateurs d'héroïne, rendent très compliquée la pose d'un cathéter. Mais le Washington Post (en anglais) rappelle aussi plusieurs épisodes lugubres : un prisonnier conseillant le personnel médical sur la meilleur endroit où le piquer, une seringue se détachant du bras d'un autre au milieu de l'exécution ou encore l'"horrible souffrance" d'un condamné à qui on avait inserré une perfusion vers la main et non vers le cœur.

Un retour à des exécutions "primitives" ?

"Les Américains en ont marre de cette barbarie", a réagi Diann Rust-Tierney, de la Coalition nationale pour abolir la peine de mort, après l'agonie de Joseph Wood. Elle a ensuite qualifié l'exécution d'"inacceptable" et de "choquante". L'Union américaine pour les libertés civiles a pour sa part estimé qu'il "est temps pour l'Arizona et pour les autres Etats ayant toujours recours à l'injection létale d'admettre que cette expérience avec des produits non fiables est un échec", note CNN (en anglais).
Même certains partisans de la peine capitale estiment que la situation est intenable. Alex Kozinski, un des juges les plus influents de la Cour d'appel américaine, suggère ainsi de revenir vers des méthodes d'exécution "plus primitives et infaillibles". Comme la guillotine ou encore le peloton d'exécution, qui lui semble être la technique "la plus prometteuse", rapporte le Washington Post (en anglais). "Huit ou dix balles de gros calibre, tirées à courte distance, (...) causent la mort immédiate à chaque fois", explique le magistrat dans un procès verbal, lundi 21 juillet.
Et de souligner que "de nombreux fonctionnaires (...) ont la formation nécessaire pour viser juste". Alex Kozinski, qui estime que les injections létales "ne peuvent masquer la brutalité d'une exécution", n'est pourtant pas un opposant à la peine de mort. Comme le rappelle Legal Affairs (en anglais), il préfère simplement réserver les exécutions aux "tueurs en série, aux tueurs à gage et aux kamikazes".
Alex Kozinski n'est pas le seul à penser que ces méthodes "primitives" ne sont finalement pas plus barbares que l'injection létale. Selon Le Monde, plusieurs Etats américains envisagent de réinstaurer d'autres techniques d'exécution. Les parlementaires du Wyoming et l'Utah doivent ainsi étudier l'autorisation de l'exécution des condamnés à mort par peloton. Le Tennessee a quant à lui réintroduit le recours à la chaise électrique en mai dernier. De nombreuses associations soulignent pourtant que l'électrocution peut, elle aussi, provoquer une violente souffrance chez les condamnés à mort.

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