Le décès d’Antonin Scalia [Juge
de la Cour Suprême ultraconservateur ayant notamment défendu la peine capitale
pour des mineurs de 15 ans] sera-t-il synonyme de perpétuité pour les détenus
du couloir de la mort ?
Le 17 fév. 2016
Aux mois de septembre et d’octobre
dernier, lors d’interventions dans deux facultés de droit différentes, le Juge
Antonin Scalia a indiqué qu’il ne serait pas surpris que la peine capitale soit
jugée anticonstitutionnelle avant la fin de ses fonctions.
Monsieur Scalia s’est attardé sur
le récent désaccord du Juge Stephen Breyer dans l’affaire Glossip contre Gross,
dans le cadre de laquelle Monsieur Breyer indiquait que la Cour devait étudier
la question consistant à trancher si oui ou non le 8ème Amendement
exige que soit mis un terme à la peine de mort en Amérique. Monsieur Scalia
s’était au préalable identifié comme la 5ème voix lors d’une séance
où les juges devaient être départagés entre quatre voix contre quatre. Il ne
pouvait alors savoir que son décès soudain, quelques mois plus tard, allait
pouvoir relancer le débat.
On peut s’attendre à ce que tous
les prétendants républicains désignent un candidat à la Cour Suprême qui suivra
la voie tracée par Monsieur Scalia, en soutenant le caractère constitutionnel
de la peine capitale. Sur les candidats à la Présidentielle toujours en
lice, seul Bernie Sanders s’oppose à la peine de mort et nommera très
certainement un candidat à la Court Suprême qui deviendrait la 5ème
voix en faveur de l’abolition de la peine de mort. La réponse à ce débat du
candidat désigné par Hillary Clinton (qui défend la peine de mort) est moins
sûre, car personne ne s’est encore donné la peine d’interroger la candidate sur
ce sujet.
Si Hillary Clinton l’emporte et
désigne un candidat qui milite de longue date pour les droits civiques, alors
la peine de mort sera très certainement abolie. Toutefois, si Mme Clinton,
après sa victoire, désigne un ancien Procureur comme Loretta Lynch ou Eric Holder,
il faudra en déduire que les Etats-Unis resteront membres d’un groupe infâme et
de plus en plus retreint de nations rétrogrades qui continuent d’exécuter leurs
propres citoyens.
Malheureusement, depuis 20 ans,
Hillary Clinton applique des principes de justice pénale qui exploitent la peur
du crime des citoyens et aboutissent invariablement à des résultats différents
en fonction de l’origine ethnique, au préjudice des minorités pauvres. Le
soutien de Mme Clinton en 1994 au « Crime Bill » (projet de loi sur
la criminalité qui a contribué à l’incarcération massive de personnes issues
des minorités pauvres) et à la Loi de 1995 contre le terrorisme et pour une
application effective de la peine de mort (qui a fait se lever des obstacles
procéduriers aux requêtes de personnes condamnées clamant leur innocence)
constituent deux exemples des tendances de Mme Clinton à caresser dans le sens
du poil des citoyens qui soutiennent une ligne dure face à la criminalité, ce,
dans le but d’arriver à ses fins politiques.
Cela traduit une approche de la
gestion des affaires marquée, pour ne pas dire empoisonnée, par une tendance à
opter pour l’efficacité politique, au détriment de l’éthique et de la morale.
C’est bien la marque de fabrique de Bill et Hillary Clinton depuis l’élection
de Bill au poste de gouverneur de l’Arkansas.
En début de semaine, Mme Clinton a
fait les gros titres des journaux pour avoir imité un chien, alors qu’elle
relatait avec légèreté une anecdote liée aux premières campagnes de son mari en
Arkansas [Elle expliquait qu’à l’époque,
dans une émission de radio, un chien était censé aboyer à chaque mensonge
proféré, et qu’on pouvait imaginer reproduire le même procédé à chaque mensonge
du clan républicain…]. Cet épisode a, de manière inopinée, rappelé l’implication
des Clinton dans l’exécution, en 1992, d’un homme-enfant lobotomisé pesant plus
de 110 kg, Ricky Ray Rector. Dans un article de 1993 publié dans le « New
Yorker » par Marshal Frady, « Mort en Arkansas », l’auteur y
relatait comment Ricky Rector dansait sans arrêt en traînant les pieds, avant
de se mettre à rire pour lui-même comme un enfant, ou alors d’aboyer comme un
chien, alors qu’il attendait dans sa cellule le jour de son exécution, dans le
couloir de la mort de l’état de l’Arkansas. Bill Clinton, alors empêtré dans un
scandale sexuel qui menaçait de faire dérailler sa campagne présidentielle,
était retourné en Arkansas pour présider en personne à l’exécution de Ricky
Rector.
Le journaliste Christopher
Hitchens a décrit Ricky Rector comme étant un « raté, issu du
lumpenprolétariat » qui, après avoir tué un officier de police, avait
retourné l’arme contre lui, s’infligeant alors des dommages cérébraux très
étendus. Ricky Rector a survécu à sa tentative de suicide, mais il n’était plus
le même, et avait les facultés mentales d’un jeune enfant.
Marshall Frady a aussi décrit les
efforts désespérés d’un des avocats de Ricky Rector pour tenter de parler à
Bill Clinton le jour de l’exécution. Jeff Rosenzweig avait grandi avec Bill
Clinton à Hot Springs, dans l’état de l’Arkansas, où son père avait été le
pédiatre de Bill Clinton. Lorsqu’il a enfin pu parler à Bill Clinton en fin
d’après-midi, M. Rosenzweig lui a expliqué la sévérité de la déficience mentale
de Ricky Rector. Exécuter Ricky Rector, Jeff Rosenzweig a indiqué à Bill Clinton, ce serait
comme exécuter un enfant. Jeff Rosenzweig savait que sa bataille serait ardue,
étant donné la pression politique à laquelle Bill Clinton était soumis, mais il
espérait que son vieil ami « n’aimerait pas être perçu comme un
sans-cœur ». Bill Clinton s’est montré inflexible.
Ce soir-là, l’exécution a commencé
après une heure d’attente, ponctuée des gémissements sonores de Ricky Rector,
alors que les membres du personnel de la prison s’évertuaient à trouver une veine
convenable. Finalement, l’équipe médicale a été contrainte de lui inciser le
bras au scalpel pour trouver une veine à même de diffuser les produits
chimiques mortels dans son corps massif. Une fois les substances chimiques
injectées, il a fallu à un Ricky Rector haletant 19 minutes pour mourir.
Ricky Rector avait été sacrifié
sur l’autel des ambitions politiques des Clinton. Comme l’a indiqué
Marshall Frady, reprenant les propos d’un des premiers avocats de Ricky
Rector, « ce pauvre Ricky Rector n’a pas eu de chance, le timing
était des plus mauvais ». Pour Monsieur Rosenzweig, qui s’exprimait depuis
son cabinet à Little Rock en Arkansas, la semaine dernière, la décision de Bill
Clinton de sauver sa campagne en 1992, grâce à l’exécution de Ricky Rector,
« était assurément un pacte avec le diable. »
Le rôle clé qu’a joué Hillary
Clinton dans cette prise de décision, lors
de la campagne de son époux en 1992, est étayé par de nombreuses
preuves ; pourtant, personne ne s’est encore donné la peine de l’interroger
sur la mise à mort de Ricky Rector. Il est grand temps que quelqu’un le fasse,
et ce, bien avant qu’elle ne soit en mesure de nommer quelqu’un pour occuper le
siège de Monsieur Scalia à la Cour Suprême des Etats-Unis.
Source : Cato, Nat
Hentoff, le 17 février 2016. Monsieur Hentoff est une figure de renommée
nationale aux USA, spécialiste du Premier Amendement et du « Bill of
Rights ». Il est membre du Comité des Reporters pour la Liberté de la
Presse et membre émérite du « Cato Institute ». Nick Hentoff, qui
exerce à New York, est avocat de la défense dans des affaires pénales et des
affaires liées aux libertés civiques.
(traduit
par LPJ)
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