https://worldcoalition.org/fr/2024/04/04/progres-et-obstacles-de-labolition-aux-etats-unis/
Progrès et
obstacles de l’abolition aux États-Unis
Déclaration
Publié par Russ Feingold & Christopher Wright
Durocher, le 4 avril 2024
Lorsque le président Biden a remporté les élections de 2020, il est devenu
le premier candidat à la présidence des États-Unis à s’opposer publiquement à
la peine de mort.
Dans le cadre de sa promesse d’œuvrer en faveur
de l’abolition, la campagne de M. Biden a souligné que « plus de 160
personnes condamnées à mort dans ce pays depuis 1973 ont été innocentées par la
suite ». En 2021, le ministère américain de la justice a annoncé un
moratoire sur les exécutions fédérales, reconnaissant notamment que « de
graves préoccupations ont été soulevées quant à la poursuite de l’application
de la peine de mort dans tout le pays ». Le président, sa campagne et le
ministère de la justice ont raison de s’inquiéter d’un châtiment qui, même si
l’on met de côté l’immoralité des exécutions sanctionnées par l’État, n’a
jamais été appliqué de manière équitable, juste ou égale.
C’est pourquoi il est particulièrement décourageant de constater qu’au début
de l’année, le ministère de la justice, dirigé par un procureur général nommé
par le président Biden, a annoncé qu’il allait requérir la peine de mort à
l’encontre de Payton Gendron. En 2022, Gendron avait tué dix personnes noires
lors d’une fusillade à caractère raciste dans une épicerie de Buffalo, dans
l’État de New York. Avant que le ministère de la justice n’annonce
l’application de la peine capitale, Payton Gendron avait déjà plaidé coupable
des meurtres devant un tribunal de l’État de New York et purgeait une peine
d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération. La justice,
pour autant qu’elle puisse être rendue dans une situation aussi odieuse, avait
déjà été rendue.
L’American Constitution Society s’est élevée contre cette décision, l’un de
ses auteurs, Russ Feingold, président de l’ACS, faisant observer que « en
appliquant la peine de mort dans une seule affaire, quels que soient les faits
de cette affaire, le gouvernement fédéral valide les meurtres sanctionnés par
l’État en tant que politique et pratique ». Le fait est que la peine de
mort aux États-Unis est entachée de dysfonctionnements. Toute évaluation
honnête des systèmes juridiques pénaux utilisés pour enquêter, inculper
capitalement, juger et finalement exécuter des personnes aux États-Unis révèle
une pratique cruelle, aléatoire et finalement tortueuse.
Le manque de ressources adéquates pour la défense signifie que les questions
relatives à l’innocence et à la culpabilité sont nombreuses dans les affaires
de peine de mort. L’exécution la plus récente aux États-Unis, celle d’Ivan
Cantu par le Texas en février, s’est déroulée dans un climat de doute quant à
la crédibilité des témoins, dont l’un s’est rétracté. Aucun tribunal n’a jamais
examiné ces allégations. À ce jour, au moins 195 personnes condamnées à mort
aux États-Unis ont été ultérieurement innocentées. Il est difficile de
connaître le nombre réel de personnes condamnées à mort à tort, mais il est
sans aucun doute beaucoup plus élevé.
La peine de mort amplifie également les disparités raciales déjà présentes
dans le système pénal américain. Les affaires impliquant des victimes blanches
sont beaucoup plus susceptibles d’amener les procureurs à requérir la peine de
mort, et les personnes de couleur, en particulier les personnes noires,
représentent une part disproportionnée des personnes finalement exécutées. Les
personnes atteintes de maladie mentale et les personnes souffrant d’un handicap
intellectuel sont également représentées de manière disproportionnée dans les
couloirs de la mort du pays. Si l’on ajoute à cela le fait que la peine de mort
n’est activement appliquée que dans une poignée de comtés dans une poignée
d’États, la probabilité d’être exécuté est davantage un reflet de la
démographie et de la situation géographique qu’un reflet de l’horreur d’un
crime donné.
Même la mécanique des exécutions est en proie à des problèmes. La tentative
ratée de l’Idaho d’exécuter Thomas Creech, 73 ans, en février (le jour même où
le Texas a tué Cantu) n’est que l’exemple le plus récent. Selon des chercheurs,
plus d’un tiers des exécutions tentées en 2022 ont été bâclées. Les États, qui
opèrent trop souvent en secret, bricolent des protocoles de médicaments non
testés, expérimentent l’hypoxie à l’azote et envisagent de revenir aux pelotons
d’exécution et à la chaise électrique, dans une vaine tentative de trouver un « meilleur »
moyen de tuer les gens. Il s’agit d’expériences macabres qui nient le fait que
tuer est une pratique intrinsèquement brutale et inhumaine.
Il est raisonnable de voir cette litanie de dysfonctionnements et d’en
conclure que la peine de mort aux États-Unis est défaillante. En fait, pour la
première fois depuis que les sondeurs ont commencé à poser la question, les
Américains sont plus nombreux à penser que la peine de mort est appliquée de
manière injuste que de manière équitable. Il n’est donc pas surprenant que
l’opposition publique à la peine de mort atteigne un niveau presque sans
précédent.
Mais dire que la peine de mort ne fonctionne pas, c’est laisser entendre
qu’elle peut être corrigée ou réformée pour fonctionner de manière plus juste.
Ce n’est pas le cas. L’ACS le comprend et concentre son travail sur la mise en
évidence des défaillances juridiques et morales qui sont inexorablement liées à
la peine de mort.
Le huitième amendement de la Constitution américaine interdit les
« châtiments cruels et inhabituels ». L’actuelle Cour suprême des
États-Unis, contrôlée comme elle l’est par une supermajorité conservatrice, a
fait preuve d’un mépris quasi total pour la cruauté de la peine de mort. Mais
il devient trop difficile d’ignorer le déclin de la peine de mort aux
États-Unis. Le caractère « inhabituel » des exécutions et des
condamnations à mort est devenu indéniable.
Les exécutions et les condamnations à mort ont tendance à diminuer depuis
les sommets historiques atteints à la fin des années 1990. Au cours des deux
dernières décennies, onze États ont aboli la peine de mort, ce qui porte à 23
sur 50 le nombre d’États où la peine de mort n’est pas appliquée. En outre, six
États font actuellement l’objet d’un moratoire sur les exécutions imposé par le
gouverneur. Même dans la plupart des États où la peine de mort est encore en
vigueur, elle est rarement appliquée. En 2023, seuls cinq États ont procédé à
24 exécutions au niveau national, et seuls sept États ont prononcé 21 nouvelles
condamnations à mort. Même dans ces quelques États, seule une poignée de comtés
était responsables de la majorité des condamnations à mort et des exécutions.
La rareté des condamnations à mort et des exécutions rend la peine de mort
encore plus arbitraire et renforce son caractère inconstitutionnel. Les
personnes condamnées à mort ne sont pas les pires des pires, mais simplement
des personnes accusées prises au hasard dans la dynamique politique, raciale et
régionale d’un système de la peine de mort désespérément dysfonctionnel. En
fait, le Centre d’information sur la peine de mort affirme que la plupart des
24 personnes exécutées en 2023 ne seraient même pas condamnées à mort
aujourd’hui, en raison « [d]es changements dans la loi, tels que la peine
alternative de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle,
l’élimination des condamnations à mort non unanimes dans la plupart des États,
l’exclusion des personnes atteintes de déficience intellectuelle de
l’éligibilité à la peine de mort, et les changements dans la compréhension
commune et scientifique de la maladie mentale et des traumatismes et de leurs
effets durables… ».
La peine de mort aux États-Unis est en voie de disparition. Elle est en
train de perdre dans les urnes et dans les jurys. Bientôt, le pouvoir
judiciaire devra reconnaître qu’il s’agit d’un acte, non pas de justice, mais
de vengeance arbitraire et inconstitutionnelle. La question est de savoir
combien de souffrances et d’avilissements nous sommes prêt·e·s à tolérer à
l’approche de la fin de la peine de mort aux États-Unis.
Texte écrit par Russ Feingold, président, et Christopher Wright
Durocher, vice-président chargé de la politique et des programmes, American
Constitution Society
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