Nausée. J’ai la nausée. C’est tout ce que je peux ressentir, juste maintenant. A l’heure où j’écris ces lignes Troy Davis n’est plus…
La nausée de l’impuissance. La nausée de la culpabilité. Nausée de sentir Rosa Parks et Martin Luther King mourir une seconde fois. Nausée de me sentir envahie par la fureur de Malcom X, le poing hérissé de rage impuissante !
Et cet autre mot : Pardon ! Pardon de n’avoir pas crié assez fort. De n’avoir pas prié avec suffisamment de foi. Pardon de n’avoir pas signé assez de pétitions, ni écrit suffisamment de lettres. Pardon de n’avoir pas, de n’avoir pas assez, de n’avoir pas été, pas assez... Pardon de m’être obstinée à croire naïvement que cette fois, ils n’oseraient pas !
Marie, après avoir essuyé mes larmes, se lève, prend le djenmbé et cogne dessus en chantant « Bwa brilé ». Incroyable Marie ! Mon enfant de onze ans offre une ressource à mon désarroi, elle m’offre Eugène Mona et en ce jour anniversaire de son départ, sa parole est ce qu’il me faut. Oui, Mona, Davis té bwa brilé, Davis sé bwa brilé ! Yo té bay an non blan, i té ni an non blan ! Davis té bwa brilé !
Marie… Une sagesse en toute inconscience… Merci, maître !
Claire… Une révolte que rien ne semble pouvoir contenir. Elle ne m’épargne pas : « Maman on croit en Dieu non ? Alors toi qui crois en Dieu, dis-moi ce qu’il faisait, Dieu, pendant qu’on le tuait ! Il veut nous faire comprendre quoi là, à travers ça ? Et toutes ces guerres, toutes ces personnes qu’on aime et qu’on a perdu (trois, rien que pendant les vacances !), il veut nous dire quoi à travers ça hein, dis-moi ? »
Pardon ma chérie mais ce soir je n’ai pas les mots. Je pourrais te dire que les guerres, ce sont les hommes qui les déclenchent. Troy, ce sont des hommes qui l’ont tué. Tout ce qui arrive sur cette planète c’est nous les humains qui en sommes responsables et… »
Elle m’interrompt. Ce soir mon discours sur notre co-responsabilité d’humains ne passe pas.
Aucun discours ne peut passer, ne peut justifier ni même expliquer. L’insupportable. L’intolérable… Jusqu’à la nausée.
Anne… Un silence aux dimensions de l’univers… Ce soir, elle ne partage pas son hébétude, elle la garde pour elle. Je crois aussi qu’elle veut laisser toute la place à la mienne. Je devais la masser. Elle va se coucher sans oser me le rappeler. Merci ma douce d’avoir compris que mes mains ce soir voudraient bercer un corps désormais sans vie pour en adoucir la traversée.
Pardon mes chéries, cette nuit, je me sens la mère de ce garçon dont j’ai mis la photo en profil de ma page facebook. (Je ne fais jamais ça, mettre la photo de quelqu’un d’autre en profil, pas même celle des en-allés que j’admire et respecte.) Je me sens la mère d’un homme qui, l’instant d’une horreur, s’est senti un tout petit enfant.
Je me sens la mère de Mumia Abu-Jamal. Mumia qui se sentira sans doute bien seul à l’aube de ce jour où la Terre aura perdu l’un de ses enfants. Au frémissement de cette aube où des hommes, au nom de Dieu et de la loi ont ASSASSINE en toute légalité un des fils de la Terre…
Mumia, j’ai si peur pour toi !
La nausée refuse de desserrer son étau. Je me coucherai avec elle, elle vampirisera ma nuit.
Dès demain, il m’appartiendra de lui donner forme et contenu pour qu’elle se transforme en réponse et en ACTION. Je n’ai qu’une nuit… Cette ultime nuit qui aura fait défaut à Troy…
Nicole Cage / Les Hauts de Villeneuve, Sainte-Marie / 21 septembre 2011
(après l'exécution de Troy Davis)
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